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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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affaires, d’ailleurs. Je me suis souvent demandé ce qu’il avait gardé avec lui, à la fin de sa vie.
    â€” Et après, que vous est-il arrivé   ?
    â€” J’ai passé deux semaines seul dans notre cabane, puis ma mère est arrivée. Elle est apparue un jour dans l’embrasure de la porte, elle avait vingt-huit ans et était jolie comme un cœur. On lui avait dit que j’avais été abandonné, et elle venait me chercher pour me ramener à Worcester, où elle vivait depuis tout ce temps. Elle était terriblement désolée de m’avoir laissé, m’a-t-elle dit, mais elle avait eu une peur bleue de mon père, qui buvait trop et la menaçait avec des couteaux, des fourchettes et toutes sortes d’autres objets. D’après ce que j’ai compris, leur histoire d’amour était à sens unique. Elle ne pouvait pas parler de leur vie commune sans dégoût. Mais c’était du passé, et nous étions tous deux très heureux de nous retrouver. Durant tout le premier mois à Worcester elle n’a fait que me tenir dans ses bras et pleurer. Au début, notre relation se résumait à ça. Je me suis même demandé si cela s’arrêterait un jour.
    â€” Elle devait être gentille.
    â€” Elle l’était, en effet. Pendant cinq ans nous avons connu un bonheur idyllique. Elle avait reçu un héritage de sa famille à New York, donc j’avais de quoi manger et mes vêtements étaient toujours propres. Elle m’encourageait dans mon désir d’apprendre, j’étais déjà très curieux de tout, de la mécanique à la botanique en passant par la chimie   : eh oui, déjà   ! Malheureusement, cette existence parfaite n’allait pas durer, car, à mesure que je grandissais, il devenait évident pour elle que j’étais bien le fils de mon père, tant j’avais son physique et son caractère. J’étais devenu obsédé par mes études et je quittais à peine ma chambre. Quand elle essayait de m’orienter vers des passe-temps plus sains, la colère s’emparait de moi, à tel point que nous en étions tous deux effrayés. J’ai commencé à boire, pas beaucoup au début, mais suffisamment pour devenir brutal et méprisant, comme mon père l’avait été. Étant donné qu’elle avait déjà vécu tout ça, ma mère n’a évidemment pas pu accepter mon comportement. Elle m’a aimé de moins en moins, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien entre nous et que je n’aie d’autre issue que de partir. J’ai pris mes quelques sous et me suis mis en route pour Saint Louis. Mais une fois arrivé là-bas, ma bourse était vide, et j’ai dû m’arrêter là. C’était l’hiver, et j’ai eu peur de mourir de froid, de tristesse, ou des deux. J’ai vendu mon cheval et j’ai épousé une grosse femme pour qui je n’éprouvais pas une once d’amour ni même d’affection, qui s’appelait Eunice.
    â€” Pourquoi avez-vous épousé quelqu’un que vous n’aimiez pas   ?
    â€” Elle avait dans sa cabane un énorme poêle qui chauffait telles les flammes de l’enfer. Et à la voir, je m’étais dit qu’elle avait assez de vivres pour nous nourrir tous les deux jusqu’au printemps. Vous souriez, mais je vous jure que telles étaient mes motivations   : de la chaleur et de la nourriture. J’avais un tel besoin de réconfort que j’aurais épousé un alligator s’il avait voulu partager son lit avec moi. Et je n’y aurais guère vu de différence, car Eunice était loin d’être aimante. Elle n’avait aucun charme ni aucune grâce. Pour dire la vérité, elle était l’antithèse du charme. Un puits sans fond d’antagonisme et d’hostilité. Et d’une laideur repoussante. Avec une odeur de feuilles en décomposition. En deux mots, une brute épaisse. Lorsque j’ai eu dépensé la totalité de l’argent de la vente de mon cheval, et qu’elle a compris que je n’avais nullement l’intention de copuler avec elle, elle m’a bouté hors du lit et je me suis retrouvé par terre, où la chaleur du poêle me brûlait le haut du corps

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