Les Frères Sisters
frère.
En le regardant dérouler son couchage, jâeus envie de lui demander ce quâil pensait au fond de lui. Je voulais tellement croire quâil avait enfin pris une décision morale, mais je ne trouvai pas les mots justes pour mâexprimer, et jâavais peur de sa réponse  ; par ailleurs, jâétais épuisé, et à peine avais-je posé ma tête sur le sol que je plongeai dans un sommeil impénétrable.
Â
à mon réveil le soleil brillait sur mon visage, jâentendais couler la rivière, et Charlie nâétait plus près de moi. Warm, un long bâton à la main, se tenait près du tas de cendres, comme sâil sâapprêtait à frapper quelque chose. Il désigna le crâne carbonisé de lâun des défunts frères et dit, «  Vous voyez ça  ? Maintenant, regardez.  » Il donna un petit coup sur le haut du crâne, et le visage entier se réduisit en poussière. «  Voici lâultime récompense de lâhomme civilisé.  » Lâamertume que je percevais dans sa voix me poussa à lui demander, «  Vous nâêtes pas croyant, Warm, nâest-ce pas  ?
â Non. Et jâespère que vous non plus.
â Je ne sais pas si je le suis.
â Vous avez peur de lâenfer. La religion se résume à ça, en vérité. La peur dâun endroit où nous préférerions ne pas être, et dâoù il est impossible de sâéchapper par le suicide.  »
Je songeai, Pourquoi ai-je évoqué Dieu au saut du lit  ? Warm se retourna vers les cendres. «  Je suppose que le cerveau disparaît, médita-t-il. Sous lâeffet de la chaleur il doit se réduire en eau, avant de sâévaporer. Rien quâune volute de fumée, et le précieux organe sâéloigne dans la brise.
â Où est Charlie  ?
â Il est parti nager avec Morris.  » Warm trouva un autre crâne et lui infligea le même traitement quâau précédent.
«  Ils sont partis ensemble  ?  » mâenquis-je.
Il regarda en amont et dit, «  Morris se plaignait de ses jambes et votre frère lui a suggéré de se baigner pour se soulager.
â Depuis quand sont-ils partis  ?
â Une demi-heure, dit Warm en haussant les épaules.
â Vous voulez bien mâaccompagner jusquâà eux  ?  »
Il accepta. Il nâétait pas inquiet, et je ne voulais pas lui faire peur, mais jâessayai dâaccélérer le pas autant que possible en lui faisant croire que jâavais trop chaud et que jâavais besoin dâun bain. Cependant, Warm nâétait pas du genre à se presser  ; à vrai dire, il nâavait de cesse de sâinterrompre pour examiner de près la moindre petite chose. Tout en enfilant ses bottes, il lança, «  Je me demande bien ce qui est arrivé à lâhomme qui le premier a enveloppé ses pieds nus dans des feuilles ou dans du cuir. Il a sans doute été exclu de sa tribu, et émasculé.  » Il rit. «  Puis lynché à coup de pierres, et tué  !  » Je nâavais rien à ajouter, mais de toute façon, Warm nâattendait aucune réponse de ma part. Il poursuivit son discours tandis que nous nous mettions en marche  : «  Bien entendu, à cette époque, les gens devaient avoir les pieds sacrément calleux, donc sâils avaient envie de se chausser, câétait plus pour lâapparence que pour le confort ou la nécessité, en tout cas dans les climats les plus tempérés.  » Il montra du doigt un aigle qui volait non loin de nous  ; lorsque lâoiseau piqua et attrapa un poisson dans la rivière, Warm applaudit.
Ses jambes le faisaient souffrir, et je lui offris mon bras, quâil saisit en me remerciant. Nos pieds sâenfonçaient dans le sable, et il me demandait de temps à autre si nous pouvions nous arrêter, et, même si je nâavais pas envie de traîner, je ne désirais pas non plus lui expliquer pourquoi je voulais me dépêcher. Mais Warm comprit  ; il gloussa et me dit, «  Vous nâavez pas totalement confiance en votre frère, nâest-ce pas  ?  » Ãtant donné les circonstances â notre affaire
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