Les Frères Sisters
parfois.
â Et la méthode pour sâapaiser  ?
â Je mâen sers encore de temps à autre.  »
Elle hocha la tête, et prit une tasse dâeau sur la table de chevet. Après avoir bu, elle sâessuya le visage avec le col de sa chemise de nuit  ; ce faisant, sa manche remonta, et jâaperçus son bras tordu. Il avait été mal remis, sâétait mal ressoudé, et on aurait dit que cela la gênait. En le voyant, jâéprouvai une douleur imaginaire, ou ce que lâon appelle une douleur compatissante, dans mon propre bras. Elle me surprit en train de la regarder, et sourit. Son sourire était magnifique â ma mère avait été, jeune, une femme extraordinairement belle  â, et elle lança dâun ton enjoué, «  Tu es exactement pareil, tu sais  ?  »
Je ne puis exprimer à quel point je fus soulagé dâentendre ces mots, et je répondis, «  Quand je suis avec toi, je reste le même. Câest quand je mâéloigne que je me perds.
â Tu devrais rester ici, alors.
â Jâaimerais bien. Tu mâas beaucoup manqué, Mère. Je pense à toi si souvent, et je crois que Charlie aussi.
â Charlie pense à lui, voilà à quoi il pense.
â Il est difficile à cerner, il esquive toujours.  » Je sentis un sanglot monter dans ma gorge, mais je le refoulai. Je soupirai, et me maîtrisai. Calmement, jâajoutai, «  Je ne sais pas si je dois le laisser dehors comme ça. Puis-je le faire rentrer dans la maison  ?  » Je gardai le silence, en attendant que ma mère dise quelque chose, mais elle se tut. Finalement, je poursuivis  : «  Nous avons vécu beaucoup dâaventures ensemble, Charlie et moi, et avons vu des choses que la plupart des hommes ne voient jamais.
â Est-ce si important  ?
â Maintenant que tout cela est derrière nous, oui, je crois.
â Pourquoi dis-tu que câest derrière vous  ?
â Jâai eu ma dose. Jâaspire à une vie plus calme.
â Si câest ça, tu es à la bonne adresse.  » En regardant autour dâelle, elle demanda, «  Tu as vu toutes les améliorations  ? Jâattends toujours que tu me félicites, que tu me dises quelque chose.
â Câest splendide.
â Tu as vu le jardin  ?
â Il est très beau. La maison aussi. Et toi  ? Est-ce que tu te portes bien  ?
â Oui et non, ça dépend.  » Elle réfléchit et ajouta, «  La plupart du temps, câest moyen.  »
On frappa à la porte et Charlie pénétra dans la pièce. Il enleva son chapeau et le suspendit à son moignon. «  Bonjour, Mère.  »
Elle le regarda longuement. «  Bonjour, Charlie  », répondit-elle. Comme elle continuait à le fixer, il se tourna vers moi. «  Je ne savais pas où nous étions au début. La maison mâétait familière, mais je nâarrivais pas à savoir laquelle câétait exactement.  » Il chuchota, «  Tu as vu lâépouvantail  ?  »
Mère nous observait avec un semblant de sourire aux lèvres. Mais câétait un sourire triste et lointain. «  Vous avez faim, les garçons  ? demanda-t-elle.
â Non, Mère, répondis-je.
â Moi non plus, dit Charlie. Mais jâaimerais bien prendre un bain, sâil te plaît.  »
Elle lui dit dây aller  ; il la remercia et sâapprêta à quitter la pièce. Dans lâembrasure de la porte il mâadressa un regard candide et franc, et je me dis, Il nây a plus la moindre trace dâagressivité en lui. Quand il fut parti, Mère dit, « Â
Lui,
il a lâair différent.
â Il a besoin de se reposer.
â Non.  » Elle tapota sa poitrine et secoua la tête. Lorsque je lui expliquai quâil avait perdu la main avec laquelle il tirait, elle dit, «  Jâespère que vous ne vous attendez pas à me voir compatir.
â On ne sâattend à rien, Mère.
â Vraiment  ? Jâai pourtant lâimpression que vous vous attendez tous les deux à ce que je paie pour votre nourriture et votre toit.
â Nous trouverons du
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