Les Frères Sisters
pourvu dâun épouvantail qui me sembla familier. Je me rendis compte quâon lâavait affublé dâun vieux manteau de mon père ainsi que de son chapeau et de son pantalon. Je mis pied à terre et mâapprochai pour fouiller ses poches. Je ne trouvai rien dâautre quâune allumette usagée. Je la glissai dans ma propre poche et me dirigeai vers la porte dâentrée. Jâétais trop nerveux pour frapper et restai donc là un moment à la regarder. Mais ma mère mâavait entendu arriver et vint à ma rencontre en chemise de nuit. Elle me regarda sans la moindre surprise, puis jeta un Åil par-dessus mon épaule.
«  Quâest-ce qui lui est arrivé  ? demanda-t-elle.
â Il sâest blessé à la main, et il est très fatigué.  »
Dâun air renfrogné, elle me demanda dâattendre sous le porche, en mâexpliquant quâelle nâaimait pas quâon la voie se mettre au lit. Mais je le savais, et je lui dis, «  Je viendrai quand tu mâappelleras, Mère.  » Elle sâéloigna et je mâassis sur la balustrade  ; je balançai ma jambe en observant autour de moi la maison dans ses moindres détails. Jâéprouvai un sentiment de tendresse si intense que jâen avais mal. Je regardai Charlie, avachi sur son cheval, et repensai à tous les moments que nous avions vécus ici. «  Ils nâétaient pas tous mauvais  », lui dis-je. Ma mère mâappela et je pénétrai dans la maison. Elle était étendue sous les draps de coton de son grand lit en cuivre dans la nouvelle pièce du fond. Elle tâtonna de la main sur la couverture. «  Où sont mes lunettes  ? demanda-t-elle.
â Sur ta tête.
â Quoi  ? Oh, là . Ah, oui.  » Elle les mit sur son nez et me regarda. «  Te voilà donc  », lança-t-elle. Elle fronça les sourcils et me demanda, «  Que sâest-il passé avec la main de Charlie  ?
â Il a eu un accident et il lâa perdue.
â Il lâa égarée, câest ça  ?  » Elle secoua la tête et grommela, «  Comme si câétait un simple inconvénient.
â Câest beaucoup plus que ça, pour lui comme pour moi.
â Comment lâa-t-il perdue  ?
â Il se lâest brûlée, puis elle sâest infectée. Le docteur a dit que ça lui ferait défaillir le cÅur si Charlie ne se faisait pas opérer.
â Défaillir le cÅur  ?
â Câest ce que le docteur a dit.
â Il a employé ces mots, précisément  ?
â Plus ou moins.
â Hum. Et lâopération a-t-elle été très douloureuse  ?
â Il était inconscient pendant lâamputation elle-même. Il dit que ça lui brûle maintenant, et que le moignon le gratte, mais il est sous morphine, et ça lâaide. Ãa devrait cicatriser bientôt. Jâai remarqué quâil a déjà repris des couleurs.  »
Elle sâéclaircit la gorge par deux fois, et dodelina de la tête, comme si elle pesait ses mots intérieurement  ; je lâimplorai de me faire part du fond de sa pensée, et elle dit, «  Eh bien, ce nâest pas que je ne suis pas heureuse de te voir, Eli, parce que je le suis, mais peux-tu me dire pourquoi vous revenez ici après tout ce temps  ?
â Jâai ressenti le besoin dâêtre près de toi, lui dis-je. Câétait une sensation très forte, et je nâai pas pu y résister.
â Câest ça, dit-elle en opinant du chef. Tu peux mâexpliquer ce que diantre tu es en train de me dire  ?  »
Je ris, puis mâaperçus quâelle était sérieuse, et tentai tant bien que mal de répondre avec honnêteté  : «  Ce que je veux dire, câest que tout à coup, à la fin dâune longue et difficile affaire, je me suis demandé pourquoi nous ne nous voyions plus, alors que nous étions si proches les uns des autres.  »
Elle ne parut pas vraiment convaincue par cette réponse  ; peut-être même ne me crut-elle pas. Comme pour changer de sujet, elle demanda, «  Et où en es-tu avec tes accès de colère  ?
â Jây succombe
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