Les Frères Sisters
à cheval, élégamment vêtus, je dis à Charlie, «  Joli travail.
â Plus joli que dâavoir à tuer quelquâun, acquiesça-t-il.
â Je crois que je pourrais aimer une vie comme ça. Parfois je pense à ralentir la cadence. Nâétait-ce pas agréable à lâintérieur  ? Avec toutes ces lampes allumées, et lâodeur des vêtements neufs  ?  »
Charlie secoua la tête. «  Lâennui me rendrait fou. La fille muette surgirait pour la centième fois de son trou et je lui mettrais une balle dans la tête. Ou dans la mienne.
â Cela mâa semblé une occupation de tout repos. Je parie que le vieillard dort chaque nuit sur ses deux oreilles.
â Tu ne dors pas bien la nuit  ? me demanda Charlie avec le plus grand sérieux.
â Non, répondis-je. Et toi non plus.
â Je dors comme une souche, protesta-t-il.
â Tu pleurniches et tu gémis.
â Ha  ! Ha  !
â Câest la vérité, Charlie.
â Hum  », dit-il en reniflant. Il marqua une pause pour ruminer mes paroles. Il voulait en vérifier la véracité, je le savais, mais ne trouvait pas le moyen de mâinterroger sans paraître démesurément inquiet. Toute joie en lui disparut alors, et ses yeux évitèrent les miens pendant un moment. Je songeai que nous sommes tous susceptibles dâêtre blessés  ; tristesse et inquiétude nâépargnent personne.
Â
Nous nous installâmes dans un hôtel branlant et plein de courants dâair, à lâextrême sud de la ville. Il nây avait plus quâune chambre de libre, et Charlie et moi dûmes la partager, alors que dâhabitude nous faisons chambre à part. Assis devant la cuvette, je sortis ma brosse à dents et ma poudre et Charlie, qui nâavait pas vu mon attirail jusquâalors, me demanda ce que je fabriquais. Je le lui expliquai, et lui fis une démonstration, après quoi jâinspirai profondément. «  Câest très rafraîchissant pour la bouche  », lui dis-je.
Charlie réfléchit. «  Je nâaime pas ça, rétorqua-t-il. Je trouve ça idiot.
â Pense ce que tu veux. Notre docteur Watts mâa dit que mes dents ne se gâteront jamais si jâutilise cette brosse comme il faut.  »
Charlie demeura sceptique. Il me dit que jâavais lâair dâune bête enragée avec ma bouche pleine de mousse. Je répliquai que je préférerais avoir lâair dâune bête enragée quelques minutes par jour plutôt que dâavoir une haleine fétide toute ma vie, ce qui marqua la fin de notre conversation sur la brosse à dents. à lâévocation du docteur Watts, il se souvint du médicament qui insensibilise, et il alla chercher le flacon et lâaiguille dans ses sacoches. Il voulait lâessayer sur lui, dit-il, et je lâobservai tandis quâil sâen injectait une bonne dose dans la joue. Quand le médicament commença à faire effet, il se mit à se pincer et à se triturer le visage. «  Diable  », dit-il. Il me fit signe de le gifler, ce que je fis, doucement.
«  Je ne sens rien, dit-il.
â Ton visage est flasque comme une crêpe.
â Gifle-moi encore, mais plus fort, mâenjoignit-il, et jâobtempérai. Remarquable, dit-il. Gifle-moi encore, une dernière fois, mais alors de toutes tes forces.  »
Je pris mon élan et le giflai avec une telle violence que jâen eus des picotements dans la main. «  Celle-là , tu lâas sentie. Tes cheveux se sont dressés. Je pouvais voir la douleur dans tes yeux.
â Jâai reculé sous le choc, mais je nâai pas eu mal, dit-il, émerveillé. Un homme intelligent pourrait faire bon usage de ce produit.
â Tu pourrais peut-être aller dâune ville à lâautre et gagner ta vie en proposant aux citoyens frustrés de te tabasser moyennant finance.
â Je parle sérieusement. Nous détenons dans ce flacon quelque chose qui rend possible lâimpossible. Il y a du bénéfice à faire là -dedans.
â Nous verrons ce que tu penses de ce produit miracle quand les effets se seront estompés.  »
Sa bouche était distendue, et un long filet de bave
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