Les Frères Sisters
Câest ça, rigole. Tu rigoles de tout. Mais jâai une question à te poser, très sérieuse. Qui a confiance en toi  ?  »
Il sâinterrompit pour sâimmerger dans la bassine et se frotter le corps. Tout en lâouvrant, je frappai à la porte, et entrai avec force bruits de pas ridicules et raclements de gorge. «  Charlie, lançai-je, jâai ton remède.  » Jâessayai de me donner une contenance et de parler avec naturel, mais ma voix reflétait la douleur que jâavais éprouvée en entendant les mots cruels de mon frère. Quand je pénétrai dans la salle de bains, il se tenait penché à lâextérieur de la baignoire, tout le bas du corps cramoisi, comme sâil avait porté un pantalon, vomissant dans un crachoir, et jâobservai ses flancs parcourus de spasmes tandis quâil expulsait sa bile. Il leva un doigt et dit en haletant, «  Reste ici.  » Il continua à vomir et je pris une chaise pour mâasseoir près de lui. Mes genoux tremblaient, et jâaurais voulu lâimpossible  : ne pas avoir entendu ses paroles. Je me levai, posai la morphine sur la chaise, et désignai la porte, comme si une affaire pressante mâappelait de lâautre côté. Je ne crois pas quâil ait remarqué mon départ, tout occupé quâil était à vomir.
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Je nâavais nulle part où aller, et je ne souhaitais pas que quiconque me voie, de peur que lâon discerne ma tristesse. Ainsi, pendant plusieurs minutes, je restai debout dans le couloir, à me balancer dâun pied sur lâautre, et à respirer profondément pour tenter de libérer mon esprit de toute pensée parasite. Je remarquai que la bougie que jâavais allumée était à nouveau éteinte. Je pensai quâun courant dâair en avait eu raison, mais en y regardant de plus près, je mâaperçus que mon allumette avait disparu  ; je rallumai la mèche, puis posai lâallumette usagée dans le bougeoir. Jâeus la sensation de converser avec quelquâun â qui, je lâignorais, probablement la femme de lâhôtel. Peut-être fallait-il que je lui écrive un mot en secret  ? Mais je nâavais ni papier ni encre, et de toute manière, quâallais-je lui dire  ?
Chère demoiselle, Comme jâaimerais que vous vous laviez le visage et que vous soyez gentille avec moi. Jâai de lâargent. Le voulez-vous
Â
? Je ne sais jamais quoi en faire.
Je demeurai assis dans les escaliers vingt minutes supplémentaires avant de regagner la chambre. Charlie était sur son lit. Il portait sa nouvelle chemise, mais pas de pantalon. Il tenait ses nouvelles bottes à la main, et les caressait dâun air admiratif. Il avait bu un tiers de la morphine, et les effets commençaient à se manifester  ; au coin des yeux, ses paupières sâaffaissaient et il avait lâair aussi heureux quâun cochon en vacances.
«  Et ton mal de tête, mon frère, parti  ?
â Non, il est toujours là , mais câest supportable avec le remède, donc cela mâest égal.  » Il renversa la botte pour en examiner lâintérieur, et déclara avec solennité, «  Le savoir-faire et la patience requis pour fabriquer cette botte me laissent pantois.  »
Le dégoût me saisit  : «  Tu nâes pas bien beau à voir.  »
Ses paupières se levaient et tombaient tels des stores que lâon ouvre et que lâon ferme. Il haussa les épaules et dit, «  Il y a des jours où nous sommes plus forts⦠que dâautres.
â Quand est-ce que tu comptes partir  ?  »
Les yeux fermés, il répondit, «  Je ne peux pas voyager dans cet état. Un jour de plus en ville ne changera pas grand-chose. La femme mâa parlé dâun duel qui doit avoir lieu demain matin. Nous partirons juste après.
â Comme tu veux.  »
Il entrouvrit à peine les yeux. «  Quâest-ce qui ne va pas  ? Tu nâes pas comme dâhabitude.
â Je me sens pareil.
â Tu mâas écouté pendant que jâétais dans la baignoire, câest ça  ?  » Je ne répondis rien et il ouvrit grand les yeux. «  Il me semblait tâavoir entendu
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