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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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lui coulait sur le menton. «   Ça me fait baver   », dit-il, en ravalant sa salive. Il haussa les épaules, rangea le flacon et l’aiguille, et me dit qu’il voulait aller au saloon de l’autre côté de la rue. Il m’invita à l’accompagner et, malgré mon peu d’envie de le voir se transformer en bête sous l’effet de l’alcool, je ne souhaitais pas non plus rester seul dans la chambre d’hôtel, avec son papier peint gondolé, ses courants d’air, sa poussière et l’odeur des clients précédents. Le grincement d’un lit qui gémit sous le poids d’un homme qui ne trouve pas le sommeil est le son le plus triste que je connaisse.

 
    Je me réveillai à l’aube avec une douleur persistante à la tête, plutôt due à une fatigue générale qu’à l’abus d’alcool, même si boire n’avait pas amélioré la situation. Je plongeai mon visage dans la cuvette pleine d’eau et brossai mes dents devant la fenêtre ouverte pour sentir la brise sur mon crâne. Il faisait frais dehors, mais le fond de l’air était doux   ; je sentais là les prémices du printemps, ce qui me procura une grande satisfaction, accompagnée d’un sentiment d’ordre et de justice. Je traversai la chambre pour voir comment Charlie abordait la journée. Il allait beaucoup moins bien que moi.
    Â«   Je me sentais fébrile moi aussi, lui dis-je, mais ça va de mieux en mieux. Je crois que cette poudre pour les dents a un genre de vertus curatives.
    â€” Commande-moi un bain, croassa-t-il, enfoui au milieu des édredons et des draps. Dis à la femme que je le veux brûlant.
    â€” Un bain coûte vingt-cinq cents   », dis-je. Je le savais car j’avais remarqué un panneau dans l’entrée de l’hôtel fournissant cette précision, parce que, chez nous, un bain ne coûtait que cinq cents. Mais Charlie se moquait du prix. «   Même si ça coûtait vingt-cinq dollars, ça me serait égal. Un bain me sauvera la vie, pour autant qu’elle puisse l’être. Je veux que l’eau soit assez chaude pour cuire un poulet. Et pourrais-tu aussi aller me chercher des médicaments chez l’apothicaire   ?   »
    Je dis, «   Je me demande ce que dirait le Commodore s’il savait que celui qu’il a choisi pour diriger ses opérations est si souvent malade parce qu’il boit trop.
    â€” Assez parlé, supplia-t-il. Va trouver la femme. Brûlant, dis-lui.
    â€” Je reviendrai après avoir été chez l’apothicaire.
    â€” Dépêche-toi, s’il te plaît.   »
    Je trouvai la femme en bas dans le hall, assise derrière son comptoir, en train de repriser une taie d’oreiller avec une longue aiguille et du fil. Je ne l’avais vue qu’en passant lorsque nous étions arrivés la veille, mais à présent je me rendais compte qu’elle était plutôt jolie, jeune et plantureuse, le teint diaphane et la chair ferme. La transpiration collait ses cheveux sur son front   ; son bras s’activait, se tendant au maximum avant de ramener l’aiguille sur son ouvrage. Je frappai sur le comptoir, et elle posa ses yeux sur moi sans dissimuler sa contrariété.
    Â«   Mon frère a trop bu hier soir, et il a besoin d’un bain brûlant.
    â€” Trente cents   », dit-elle d’une voix monocorde. Je regardai le panneau au-dessus d’elle, qui affichait toujours vingt-cinq cents, mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle ajouta, «   C’était vingt-cinq hier. Mais c’est trente maintenant. Et bientôt ce sera trente-cinq.
    â€” Les affaires reprennent pour les peintres d’enseignes   », dis-je, mais la femme se contenta de continuer à coudre. Je poursuivis   : «   Je ferais mieux de payer maintenant, avant que le prix ne continue à grimper.   » Je n’obtins même pas un sourire de cette femme de chambre surchargée de travail. Pour l’agacer davantage, je payai avec une pièce de vingt dollars. Elle regarda durant de longues secondes la lourde pièce avant de s’en saisir prestement et de la fourrer dans la poche crasseuse de sa blouse, et de me rendre ma monnaie. Elle ne faisait pas le moindre effort pour cacher

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