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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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l’antipathie que je lui inspirais, et je songeai qu’il serait prudent de l’avertir   : «   Mon frère n’est pas aussi patient que moi, mademoiselle, et il n’est pas dans de bonnes dispositions ce matin. Il demande un bain brûlant et il a plutôt intérêt à en avoir un. Ce n’est pas le genre d’homme qu’il faut contrarier, et vous pouvez me croire.
    â€” Il sera brûlant   », dit-elle. Elle coinça l’oreiller sous son bras, et se détourna pour vaquer à ses occupations. Tandis qu’elle disparaissait derrière le rideau de perles qui séparait le hall de la cuisine et des marmites pour chauffer l’eau des bains, je remarquai qu’un pan de sa robe était coincé entre ses fesses. Elle le remit en place d’un geste délicat et rapide — un geste automatique auquel elle ne prêta pas attention, mais je lui sus gré de m’avoir permis d’y assister, et me mis à siffler une mélodie joyeuse et enlevée.
    Quittant l’hôtel, je me mis à chercher distraitement un apothicaire ou un docteur, et me surpris à penser principalement aux femmes et à l’amour. Je n’avais jamais été plus d’une nuit avec une femme, et c’était chaque fois des prostituées. Et même si, lors de ces rencontres furtives, j’essayai de me montrer aimable avec ces femmes, je savais, au fond de moi, que c’était faux, et me sentais toujours isolé et abattu, après. Cela faisait un an environ que j’avais entièrement cessé de fréquenter les filles parce qu’il me semblait que l’abstinence était préférable à cette pantomime d’intimité humaine   ; et bien que de telles pensées fussent déplacées chez un homme dans ma position, je ne pus m’empêcher, en voyant ma corpulente silhouette dans les vitrines des magasins, de me demander, Quand est-ce que cet homme-là trouvera l’amour   ?
    J’arrivai enfin devant l’officine de l’apothicaire et achetai un petit flacon de morphine. À mon retour à l’hôtel, je croisai la femme qui descendait bruyamment l’escalier. Elle portait sous le bras une bassine en étain, et sa robe était toute trempée sur le côté. Elle s’immobilisa un instant   ; je pensai qu’elle souhaitait me saluer, et j’ôtai mon chapeau en la gratifiant de ce qui passe chez moi pour un sourire. Mais je m’aperçus alors qu’elle était essoufflée et semblait affligée. Lorsque je lui demandai ce qu’elle avait, elle déclara, virulente, que mon frère était sans foi ni loi, et que les plus chaudes des eaux de l’enfer ne suffiraient pas à le nettoyer. Je m’enquis de ce qu’il avait fait, mais elle ne me répondit pas et se contenta de passer devant moi pour gagner le hall d’entrée. J’entendis le son du rideau de perles, et celui de la bassine heurtant le mur. Je restai un moment dans l’escalier à écouter les bruits de l’hôtel   : pas, craquements, portes s’ouvrant et se refermant, rires étouffés, conversations, pleurs de bébé. Je remarquai une bougie éteinte devant moi. Je l’allumai, puis soufflai l’allumette et la posai contre la bougie. En regardant vers le haut de l’escalier, je vis que la porte de notre chambre était entrouverte   ; tandis que je m’approchais, j’entendis Charlie parler en s’adressant à moi, bien qu’il ne sût pas que j’étais rentré. Il parlait à voix haute dans le bain, une habitude qu’il avait prise quand il était petit. Je me faufilai jusqu’à la porte, et tendis l’oreille.
    Â«   Mais c’est
moi
le chef. Oui. Parfaitement. Toi   ? Tu n’es même pas capable de monter à cheval correctement. Et tu as une santé fragile. Oui, tu as une santé fragile. Tu appelles la maladie et les ennuis. Si tu n’étais pas mon frère, je t’aurais abandonné depuis longtemps. D’ailleurs, c’est ce que le Commodore m’a demandé de faire. Mais j’ai dit non. Il admire ma loyauté. Il semblerait que je sache m’y prendre avec lui. “Votre loyauté sera récompensée par la loyauté”, m’a-t-il dit. Il a confiance en moi. Oui, il a confiance en moi, mon frère.

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