Les Frères Sisters
épaule. «  Tous ces gens qui viennent faire fortune en Californie seraient mieux avisés de rester chez eux et de travailler leur propre terre.
â Je les comprends. Ils cherchent lâaventure.
â Eh bien, ceux-là lâont trouvée.  » Il se remit à leur vider les poches. «  Il a une belle montre à gousset, celui-là . Tu la veux  ? Tiens, sens comme elle est lourde.
â Laisse-lui sa montre, dis-je.
â Je me sentirais mieux si tu prenais quelque chose.
â Et moi, je me sentirais encore plus mal. Laisse la montre, ou bien prends-la pour toi, mais moi je nâen veux pas.  »
Il avait aussi tué leurs chevaux. Ces derniers gisaient ensemble un peu plus loin au fond dâune ravine. En temps normal, cela ne mâaurait pas gêné, mais deux dâentre eux étaient des bêtes de toute beauté, en bien meilleur état que Tub  ; jâen fis la remarque à Charlie, qui me répondit, amer, «  Oui, et nâimporte qui peut voir leurs marquages. Serais-tu assez stupide pour aller en Californie sur le cheval dâun homme assassiné, quand lâhomme en question est attendu là -bas  ?
â Personne nâattend ces hommes. Et tu sais aussi bien que moi quâil nây a pas de meilleur endroit au monde pour se cacher que la Californie.
â Jâen ai assez de parler de ton cheval, Eli.
â Si tu crois que je vais mâarrêter, tu te trompes.
â Eh bien, jâen ai assez de parler de ton cheval, pour aujourdâhui. Maintenant, partageons lâargent.
â Câest toi qui les as tués. Garde-le.
â Jâai tué ces hommes pour te libérer de la cabane maudite  », protesta-t-il. Mais comme je continuais à décliner son offre, il dit, «  Je ne vais pas me battre pour que tu acceptes. De toute façon, jâai besoin de nouveaux vêtements. Crois-tu que ton cheval estropié et sans cervelle pourra rallier la prochaine ville sans se jeter du haut dâune falaise  ? Quâest-ce quâil y a  ? Tu ne souris même pas. On est en train de se disputer et donc tu mets un point dâhonneur à ne pas sourire, câest ça  ?  » Je restai effectivement de marbre, mais un sourire commença à sâesquisser sur mon visage. «  Non, dit Charlie, il ne faut pas sourire quand on se dispute. Tu ne peux pas faire ça, tu le sais bien. Tu dois ruminer et me haïr et passer en revue toutes les misères que je tâai fait subir quand nous étions petits.  »
Nous remontâmes à cheval pour quitter le campement. Je talonnai Tub et il sâeffondra sur le sol.
Â
Il faisait nuit lorsque nous atteignîmes la ville la plus proche, et le poste de traite semblait fermé. Cependant, la porte était ouverte, et de la fumée sâéchappait de la cheminée. Nous frappâmes et entrâmes. Il faisait bon dans la pièce  ; le silence régnait, et lâodeur des vêtements neufs envahit mes narines  : des piles de pantalons, de chemises, de maillots de corps, de chaussettes et de chapeaux soigneusement pliés et rangés garnissaient les étagères. Charlie fit claquer le talon de sa botte, et un sémillant vieillard en maillot de corps trop grand émergea dâun lourd rideau de velours noir. Il ne répondit pas à nos salutations, mais parcourut la pièce en silence, allumant les lampes sur le comptoir avec une fine baguette en bois, dont lâextrémité incandescente dansotait et rougeoyait. Bientôt une lueur dorée illumina la pièce, et le vieil homme posa ses mains sur le comptoir en clignant des yeux et en arborant un sourire inquisiteur.
«  Jâaurais besoin de nouveaux vêtements, dit Charlie.
â La tenue complète  ? sâenquit le vieil homme.
â Je pensais surtout à une nouvelle chemise.
â Votre chapeau est en piteux état.
â Quâest-ce que vous pouvez me proposer comme chemise  ?  » demanda Charlie.
Le vieillard examina le torse de mon frère, évalua ses mesures dâun Åil expert, puis se tourna, grimpa prestement à lâéchelle qui se trouvait derrière lui, et retira des étagères une petite pile de chemises pliées. Il redescendit et posa la pile devant Charlie.
Weitere Kostenlose Bücher