Les Frères Sisters
prêter leur outil. Eh bien, ils nâauront plus besoin de hache à présent.  » Il se dirigea vers la cabane et y entra par le trou quâil avait fait. Je ne compris pas dâemblée ce quâil fabriquait, mais vis bientôt de la fumée qui sâéchappait de lâintérieur. Puis mon sac et ma marmite jaillirent de la fenêtre, suivis de près par Charlie, qui affichait un large sourire. Tandis que nous nous éloignions à cheval, la baraque sâétait transformée en une tornade de flammes qui sifflaient et sâélevaient dans lâair en tournoyant. Lâours, sur lequel Charlie avait répandu lâhuile de la lampe, brûlait lui aussi, impressionnant mais triste spectacle, et jâétais content de quitter lâendroit. Je songeai que jâavais franchi le seuil pour un cheval dont je ne voulais pas, quand Charlie ne lâavait pas fait pour son propre frère. Ainsi va la vie, me dis-je.
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LâÅil de Tub était rouge et gonflé, comme mort, et la bête se comportait de manière étrange, tournant à droite quand je tirais mes rênes à gauche, sâarrêtant et repartant quand lâenvie lâen prenait, avançant de travers. Je dis à Charlie, «  Je pense que ce grizzly a endommagé le cerveau de Tub.  »
Charlie répliqua, «  Il est sonné, câest tout.  » Fonçant la tête la première dans un arbre, Tub se mit à uriner bruyamment. «  Tu es trop gentil avec lui. Donne-lui un coup dâéperon et ça va le recadrer, tu verras.
â Je nâavais pas besoin de pousser autant mon autre cheval.  »
Charlie secoua la tête. «  Ne parlons plus de ça, sâil te plaît.
â Mon autre cheval était plus intelligent que beaucoup dâhommes adultes que je connais.  »
Charlie secoua la tête  ; le sujet était clos. Nous passâmes par le campement des prospecteurs morts, ou des prospecteurs en devenir, ou des prospecteurs qui ne le seraient jamais. Je comptai cinq cadavres à plat ventre, tous éloignés les uns des autres. Charlie me raconta lâhistoire tandis quâil vidait leurs poches et leurs sacs de tout objet de valeur  : «  Le gros, là , câétait le plus coriace. Jâai essayé de le raisonner, mais il a voulu impressionner ses camarades. Je lui ai tiré dans la bouche et ils se sont tous sauvés en courant. Voilà pourquoi ils sont éparpillés, et quâils ont une balle dans le dos, tu vois  ?  » Puis, sâaccroupissant devant un corps frêle  : «  Celui-là ne doit pas avoir plus de seize ans, je dirais. Eh bien, ça lui apprendra à voyager avec de telles têtes brûlées.  »
Je restai silencieux. Charlie me regarda pour voir ma réaction, et je haussai les épaules.
«  Quâest-ce quâil y a  ? dit-il. Tu as ta part de responsabilité là -dedans, nâoublie pas.
â Je ne vois pas comment tu peux dire ça. Je ne voulais pas passer la nuit dans la cabane de cette vieille femme, tu te souviens  ?
â Mais câest ton état de santé qui nous a obligés à nous arrêter.
â Une araignée est entrée dans ma botte, voilà pourquoi jâétais malade.
â Tu es en train de dire que câest la faute de lâaraignée  ?
â Je ne suis pas en train dâincriminer quiconque. Câest toi qui as lancé le sujet.  »
Sâadressant aux cadavres autour de nous, Charlie déclara, «  Mes amis, câest une araignée qui est responsable de la disparition prématurée de votre groupe. Une grosse araignée poilue à la recherche dâun peu de chaleur, voilà ce qui a causé votre mort.  »
Je rétorquai  : «  Tout ce que je dis, mon frère, câest que câest dommage quâils aient dû mourir. Et câest vrai que câest dommage. Câest tout.  » Dâun coup de botte, je retournai le corps du garçon. Sa bouche était entrouverte et deux incisives proéminentes pointaient entre ses lèvres.
«  En voilà un beau garçon  », plaisanta Charlie. Mais il avait des remords, je le voyais bien. Il cracha sur le sol et balança une poignée de terre par-dessus son
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