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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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proposez sur la carte.   »
    La cuisinière jeta un coup d’œil au garçon, puis me regarda à nouveau. «   Vous n’avez pas faim   ?
    â€” On pourrait vous donner la moitié d’une portion si vous n’avez pas faim, dit le garçon.
    â€” Je vous ai déjà dit que je suis affamé. Sauf que j’aimerais manger quelque chose de moins bourratif, vous voyez   ?
    â€” Quand je mange, je veux être rassasiée, déclara la cuisinière.
    â€” C’est l’objectif quand on mange   ! renchérit le garçon.
    â€” Et quand vous avez fini, vous vous posez une main sur le ventre et vous dites, “Je n’ai plus faim.”
    â€” Tout le monde fait ça.
    â€” Écoutez, dis-je. Je vais prendre une demi-portion de bœuf, sans pommes de terre, et un verre de vin. Est-ce que vous avez des légumes   ? Des légumes verts   ?   »
    Je crus que la cuisinière allait me rire au nez. «   Je crois qu’il y a des carottes dans les cages à lapin.
    â€” Donnez-moi quelques carottes avec le bœuf, épluchées et bouillies, s’il vous plaît. Vous n’aurez qu’à me compter le prix d’un plat entier pour le dérangement, ça ira   ?
    â€” Pourquoi pas, si c’est ce que vous voulez, dit la cuisinière.
    â€” Je vous apporte le vin tout de suite   », dit le garçon.
    Lorsqu’il posa mon assiette devant moi, elle était garnie d’un tas de carottes chaudes et molles. La cuisinière les avait épluchées en laissant le vert, un oubli malveillant, me dis-je. J’en avalai avec difficulté une demi-douzaine, mais elles semblaient se volatiliser avant d’arriver dans mon estomac, et je commençai à fouiller désespérément mon assiette, à la recherche du bœuf. Je le trouvai enfin, sous le tas de carottes, et en savourai chaque bouchée, mais je le finis beaucoup trop vite, ce qui me démoralisa. Je soufflai la chandelle et observai à nouveau mes mains spectrales. Elles commencèrent à s’engourdir, et je songeai à nouveau à la malédiction de la sorcière gitane de la cabane. Allait-elle se réaliser   ? Et si oui, quand   ? Quelles en seraient les conséquences   ? Le garçon revint pour débarrasser   ; montrant du doigt les carottes que je n’avais pas mangées, il s’enquit, faussement naïf, «   Vous n’avez pas aimé les légumes   ?
    â€” Si, dis-je. Mais j’ai fini.
    â€” Un peu plus de vin   ?
    â€” Oui. Un verre.
    â€” Voulez-vous un dessert   ?
    â€” Mais non, bon sang   !   »
    Et le serveur malmené se sauva.

 
    Le lendemain matin, j’allai voir Charlie et ne fus guère surpris de le trouver malade et peu enclin à voyager. Je commençai à le réprimander timidement, mais sans que cela fût utile   : il savait aussi bien que moi que nous ne pouvions nous permettre de passer un jour de plus sans avancer, et il me promit d’être prêt une heure plus tard. J’ignorais par quel miracle il pensait se remettre sur pied en si peu de temps, mais je ne poursuivis pas plus avant la question avec lui   ; je le laissai à ses vapeurs et à ses douleurs, et retournai au restaurant de la veille pour prendre un petit-déjeuner dont j’avais le plus grand besoin. Le serveur de la veille était absent, et un jeune homme qui lui ressemblait et que je pris pour son fils était là à sa place. Mais lorsque je demandai, «   Où est votre père   ?   », le jeune homme croisa les mains et dit, «   Au Paradis.   » Je pris une petite portion d’œufs et de haricots, et quand j’eus fini, j’avais encore très faim. Je restai assis à regarder l’assiette grasse avec une envie furieuse de la lécher, mais les convenances m’interdisaient de me livrer à un tel geste. Lorsque le jeune homme revint, il se saisit de mon assiette qu’il brandit au-dessus de sa tête et s’achemina vers la cuisine. Je contemplai mon plat vide survoler la salle du restaurant jusqu’à ce qu’il eût disparu de ma vue. Le jeune homme revint et me demanda si je souhaitais autre chose avant de régler l’addition. «   Nous avons de la tarte, ce matin,

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