Les Frères Sisters
de terre, et les narines et la bouche couvertes dâampoules  ; sa main ne tremblait pas, et il paraissait à lâaise avec lâarme  : je me dis quâil avait lâhabitude dâen tenir une. En un mot, câétait un jeune homme des plus antipathique  ; je redoutai quâil nâassassine mon frère si nous ne nous présentions pas, et vite. «  Nous ne te voulons aucun mal, fiston, dis-je.
â Câest ce que ceux dâavant mâont dit, répliqua le garçon. Puis ils mâont frappé à la tête et ils mâont volé toutes mes galettes de pommes de terre.
â Nous ne voulons pas de galettes de pommes de terre, dit Charlie.
â On était faits pour se rencontrer, alors, parce que je nâen ai pas.  »
Je voyais bien que le garçon était affamé, et je lui proposai de partager notre porc. «  Je lâai acheté en ville ce matin même, dis-je. Et de la farine, aussi. Ãa te ferait plaisir, fiston  ? Un festin de porc et de petits pains  ?
â Vous mentez, dit-il. Il nây a pas de ville près dâici. Mon père est parti chercher de la nourriture il y a une semaine.  »
Charlie se tourna vers moi. «  Je me demande si câest lâhomme quâon a rencontré sur le chemin hier. Tu te souviens, il était pressé de rentrer pour nourrir son fils  ?
â Câest vrai. Et il venait par ici.
â Est-ce quâil montait une jument grise  ?  » demanda le garçon, son visage rayonnant soudain dâun pathétique espoir.
Charlie hocha la tête. «  Une jument grise, oui, câest ça. Il nous a dit combien tu étais brave, mon garçon, il était très fier de toi. Il nous a dit quâil était mort dâinquiétude, et quâil avait hâte de te retrouver.
â Papa a dit ça  ? réagit le garçon, dubitatif. Vraiment  ?
â Oui, il était très heureux dâêtre sur le chemin du retour. Câest dommage quâon ait dû le tuer.
â Qu⦠Quoi  ?  » Avant que le garçon ne recouvrît ses esprits, Charlie lui arracha le fusil des mains et lâassomma dâun coup de crosse à la tête. Le garçon tomba à la renverse dans le chariot, et on ne lâentendit plus. «  Faisons du café sur ce feu  », dit Charlie en enjambant lâattelage.
Â
Cette nouvelle aventure revigora Charlie â cette montée de sang lâavait remis dâaplomb, dit-il  â et il se mit à préparer notre déjeuner avec un enthousiasme rare. Il accepta dâen prélever une part pour le garçon, à condition que jâaille vérifier son état au cas où le coup lâaurait occis. Passant la tête sous la bâche, je me rendis compte quâil vivait encore. Il était assis, et me tournait le dos. «  Nous sommes en train de faire à manger, lui dis-je. Tu nâas pas besoin de sortir pour en profiter si tu nâen as pas envie, mais mon frère te prépare une assiette.
â Salopards, vous avez tué mon papa, dit le garçon quâétouffaient ses sanglots.
â Mais non, câétait seulement une ruse pour se débarrasser de ton fusil.  »
Le garçon se retourna pour me regarder. Il avait une entaille au front, et un filet de sang lui coulait sur le sourcil. «  Câest vrai  ? demanda-t-il. Vous le jurez devant Dieu  ?
â Cela ne veut pas dire grand-chose pour moi, donc non. Mais je le jure sur la tête de mon cheval, quâen dis-tu  ?
â Vous nâavez jamais vu dâhomme sur une jument grise  ?
â Jamais.  »
Il rassembla ses esprits et sâapprocha de moi en grimpant par-dessus les sièges du chariot. Je lui pris le bras pour lâaider à descendre  ; ses jambes chancelaient tandis que nous marchions en direction du feu. «  Tiens  ! Voilà celui qui a frôlé la mort, abandonné de tous, dit Charlie gaiement.
â Je veux mon fusil, dit le garçon.
â Tu vas être déçu alors.
â On te le rendra quand on partira  », dis-je au garçon. Je lui tendis une assiette de porc aux haricots accompagnée de petits pains, mais il nây toucha pas, se contentant de regarder
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