Les Frères Sisters
dit-il.
â De la tarte à quoi  ?  » demandai-je. Tout en pensant  : pourvu quâelle ne soit pas aux cerises.
«  Aux cerises, répondit-il. Elle sort tout juste du four. Ãa disparaît très vite. Elle est fameuse, en vérité.  » Je dus faire une grimace, car il sâenquit, «  Ãa va aller, monsieur  ? Vous avez lâair mal en point.  »
Des gouttes de sueur perlaient sur mon front, et mes mains tremblaient. Je la voulais, cette tarte, jusquâaux tréfonds de mon être. Je tamponnai mon visage avec une serviette de table, et déclarai au jeune homme que tout allait bien, que jâétais simplement un peu fatigué.
«  Vous voulez de la tarte, ou pas  ?
â Non, pas de tarte  !  » mâexclamai-je. Il posa lâaddition et repartit dans la cuisine. Après avoir payé, je sortis pour nous réapprovisionner en nourriture. Fier de moi, je sifflotai en marchant. Un coq se tenait au milieu de route, prêt au combat  ; me découvrant, je le saluai et il détala dans les flaques dâeau, petite boule de muscles et de plumes sans cervelle.
Comme ma poudre à dents sâépuisait, je demandai au patron du poste de traite sâil en vendait, et il me désigna une petite rangée de boîtes, chacune proposant une senteur ou saveur différente  : sauge, pin, menthe, et fenouil. Lorsquâil me demanda laquelle je souhaitais, je lui répondis que je pensais reprendre menthe, car jâen avais aimé le goût jusquâà présent, mais lâhomme, qui ressemblait à un pigeon en gilet, insista pour que jâessaie les autres. «  Cela pimente lâexistence  », dit-il, et quoique son attitude suffisante me rebutât, jâétais curieux des autres parfums. Je pris les boîtes et me dirigeai vers la cuvette dans lâarrière-boutique afin de goûter aux saveurs les unes après les autres, en prenant soin de ne pas abîmer les boîtes, de peur dâavoir à en acheter une qui ne mâaurait pas plu. De retour dans la boutique, je dis au patron  : «  Jâai bien aimé le pin, il procure une agréable sensation de propre. La sauge mâa brûlé la gorge  ; je ne lâai guère appréciée. Le fenouil est épouvantable. Je vais reprendre menthe, comme je le disais.
â Câest toujours mieux dâen avoir le cÅur net  », dit-il, remarque dâune évidence quelque peu inepte et à laquelle je ne pris pas la peine de répondre. Outre la poudre, je fis lâemplette dâune livre de farine, dâune livre de café, dâune demi-livre de sucre, de deux livres de haricots, de deux livres de porc salé, et de deux livres de fruits secs  ; mon estomac gargouillait intensément. Je bus un grand verre dâeau et me dirigeai vers lâécurie, mon ventre glougloutant à chaque pas.
Au moment où jâentrais, le garçon dâécurie venait juste de finir de ferrer le cheval noir. «  Je vous donne six dollars pour celui qui est bas de garrot, dit-il. Câest un dollar pour les fers, donc disons cinq dollars en tout.  » Je mâapprochai de Tub et posai une main sur son museau. «  Bonjour  », lui dis-je. Je sentis quâil me reconnaissait  ; il me regarda franchement, sans crainte ni méchanceté. Le garçon dâécurie se tenait derrière moi. «  Il va probablement perdre cet Åil, me dit-il. Sera-t-il même capable de tirer un chariot  ? Je vous en donne quatre dollars.
â Jâai décidé de ne pas le vendre, dis-je.
â Six dollars, fers y compris.
â Non, jâai changé dâavis. Parlons plutôt du noir.
â Sept dollars, câest ma dernière offre pour le bas du garrot.
â Que me proposez-vous pour le noir  ?
â Trop cher pour moi. Huit dollars pour lâautre.
â Faites-moi une proposition pour le noir, dis-je.
â Vingt-cinq dollars.
â Il en vaut cinquante.
â Trente dollars avec la selle.
â Ne faites pas lâidiot. Quarante, sans la selle.
â Trente-cinq.
â Trente-cinq sans la selle  ?
â Trente-cinq, sans la selle, moins un dollar pour les fers.
â Vous pensez que je vais payer les
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