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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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j’étais content de lui avoir laissé cet argent et espérai que cela la rendrait heureuse, ne fût-ce que pour peu de temps. J’étais déterminé à perdre dix kilos, et à lui écrire une lettre d’amour et de louanges, afin d’adoucir son séjour ici-bas par la grâce du dévouement d’un être cher.

 
    La tempête, la dernière véritable tempête de l’hiver, était à nos trousses, mais nous parvînmes à la laisser derrière nous et à bien progresser jusqu’au soir. Nous installâmes notre campement dans une vaste grotte dont le plafond était noirci par la suie des feux qu’y avaient faits nos prédécesseurs. Charlie nous prépara des haricots, du porc et du pain pour dîner, mais je ne mangeai que les haricots, et donnai en cachette le reste à Tub. Je m’endormis la faim au ventre, me réveillai au milieu de la nuit et trouvai à l’entrée de la grotte un cheval sans cavalier qui respirait bruyamment. Sa robe était noire et luisante de sueur   ; comme il frissonnait, je m’approchai pour lui poser ma couverture sur le dos.
    Â«   Qu’est-ce qui se passe   ? demanda Charlie en se redressant sur le coude, près du feu.
    â€” Il y a un cheval.
    â€” Où est le cavalier   ?
    â€” Il n’y en a pas, apparemment.
    â€” Si le cavalier se présente, réveille-moi.   » Il se tourna et se rendormit.
    L’animal mesurait un mètre soixante-dix au garrot et était tout en muscles. Il n’avait ni marquage ni selle ni fers, mais sa crinière était propre, et il ne craignait pas ma main. Je lui apportai un morceau de pain mais il n’avait pas faim et se contenta de le mordiller. «   Où vas-tu comme ça au milieu de la nuit   ?   » lui demandai-je. J’essayai de le mener vers Nimble et Tub en pensant qu’il aurait plus chaud près d’eux, mais il s’écarta et retourna à l’entrée de la grotte où je l’avais trouvé. «   Tu comptes me laisser sans couverture, c’est ça   ?   » J’entrai dans la grotte, ravivai le feu et m’allongeai devant, mais, incapable de dormir sans être convenablement couvert, je passai le reste de la nuit à ressasser de vieilles disputes dont je réécrivais l’histoire dans le but d’en sortir vainqueur. Au lever du jour, j’avais décidé de faire de ce cheval le mien. Je fis part de ma résolution à Charlie en lui tendant son café, et il acquiesça. «   Tu pourras le faire ferrer à Jacksonville. On obtiendra peut-être un bon prix pour Tub, même si j’en doute. Ils risquent de vouloir l’abattre tout simplement. Quoi qu’il en soit, tu garderas l’argent. Tu en as bavé avec Tub, ce n’est pas moi qui dirai le contraire. Quelle heureuse coïncidence, que ce cheval soit venu jusqu’à toi. Comment vas-tu l’appeler   ? Que dirais-tu de Fils de Tub   ?   »
    Je dis, «   À mon avis, un fermier sera content d’acheter Tub. Il a encore quelques bonnes années devant lui.
    â€” Mieux vaut ne pas rêver.   » Il se tourna vers Tub et dit, «   Viande à ragoût   ? Ou pré bucolique, avec la jolie fille du fermier   ?   » avant de me chuchoter, en aparté, «   Viande à ragoût.   »
    Le cheval noir accepta sans broncher le mors et la selle. Tub baissa tristement la tête quand je passai une corde autour de son encolure, et je ne pus le regarder dans les yeux. Nous avions parcouru trois kilomètres lorsque nous trouvâmes l’Indien mort par terre. «   Voici donc le précédent propriétaire du cheval   », déclara Charlie. Nous retournâmes son cadavre. Le corps était raide et déformé, le cou à la renverse et la bouche était grande ouverte dans une expression de souffrance absolue.
    Â«   C’est étrange qu’un cheval indien accepte le mors et la selle, dis-je.
    â€” Celui-là avait dû le voler à un Blanc, répondit Charlie.
    â€” Mais le cheval n’a ni fer ni marquage.
    â€” C’est un mystère   », avoua-t-il. Il désigna l’Indien du doigt et dit, «   Demande-lui donc.   »
    Aucune blessure apparente n’expliquait la mort de l’Indien,

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