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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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débarrasser de ce sentiment, j’étais contrarié à l’idée de devoir écorcher la bête. Après avoir repris son souffle, Charlie partit à la recherche du campement de Mayfield, disant qu’il avait vu des sentiers qui s’écartaient du cours d’eau en direction de l’ouest quelques kilomètres plus tôt. Trois quarts d’heure plus tard, j’étais en train de laver la fourrure de l’ours, de débarrasser mes mains et mes avant-bras de son sang poisseux, et d’étaler la peau aux yeux noirs sur un lit de fougères. La carcasse gisait sur le côté devant moi   ; ni mâle ni femelle, elle n’était plus maintenant qu’un amas de viande frémissant sous une nuée grandissante de grosses mouches en extase. Elles ne cessaient de se multiplier, de sorte que je ne distinguais presque plus la chair de l’ours, et que je ne m’entendais plus penser tant leurs bourdonnements étaient assourdissants. Comment des mouches parviennent-elles à faire tant de bruit, et pourquoi   ? N’ont-elles pas l’impression de hurler   ? Lorsque soudain le son cessa, je levai les yeux vers la carcasse, pensant qu’elles avaient disparu et qu’un plus gros prédateur était en train de s’approcher, mais les insectes étaient toujours là, silencieux et immobiles sinon quant à leurs ailes, qu’ils ouvraient et fermaient selon leur bon plaisir. Comment expliquer ce silence général   ? Je ne le saurai jamais. Les bourdonnements avaient repris quand Charlie, de retour de sa ronde de reconnaissance, lâcha un sifflement strident. Les mouches s’envolèrent alors, en un nuage noir. En voyant la carcasse, mon frère lança gaiement, «   Le petit boucher du bon Dieu. Le couteau et la conscience même du bon Dieu.   »

 
    Jamais je n’avais vu autant de peaux, de têtes, de faucons et de hiboux empaillés en un même lieu que dans le salon parfaitement agencé de monsieur Mayfield, qui se trouvait dans l’hôtel unique de la ville de Mayfield, hôtel qui, je ne fus pas surpris de l’apprendre, s’appelait Mayfield’s. L’homme lui-même était assis derrière un bureau, dans un brouillard de fumée de cigare. Comme il ne nous connaissait pas ni ne savait ce que nous faisions et ce qui nous amenait, il ne se leva point pour nous serrer la main ou nous souhaiter la bienvenue. Quatre trappeurs qui correspondaient à la description qu’en avait faite le gamin à tête à claques, se tenaient debout par paires à ses côtés. Ces colosses nous regardaient d’un air confiant qui ne laissait transparaître aucune inquiétude. Ils me semblèrent à la fois intrépides et décérébrés dans leurs tenues dont l’extravagance confinait au ridicule. Ils étaient couverts de fourrures, de cuir, de lanières, de pistolets, et de couteaux   ; je me demandai comment diable ils arrivaient à se tenir sur leurs jambes avec tout cet attirail sur le dos. Ils avaient les cheveux longs et filasses, et portaient des chapeaux assortis, que je n’avais jamais vus auparavant   : larges, les bords mous, à hauts bouts pointus. Comment se faisait-il, songeai-je, qu’ils se ressemblent tous à ce point, alors que leur accoutrement était si excentrique   ? Sûrement que, parmi eux, il y en avait un qui avait lancé la mode. Avait-il été flatté quand les autres s’étaient mis à l’imiter   ? Ou cela l’avait-il contrarié, pensant que leur mimétisme dévalorisait son sens des élégances   ?
    Le bureau de Mayfield était constitué d’une souche de pin d’un mètre soixante environ de largeur et d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, et dont l’écorce était intacte. Lorsque je tendis la main pour en toucher le bord rugueux, Mayfield prononça ses premiers mots   : «   On ne tripote pas, fiston.   » Je retirai ma main brusquement, obéissant par réflexe à la réprimande, et une vague de honte me submergea. S’adressant à Charlie, il ajouta, «   Les gens adorent tripoter l’écorce. Ça me rend fou.
    â€” Je n’allais pas la tripoter, je voulais juste la toucher   », dis-je sur un ton blessé qui ne fit que renforcer mon

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