Les Frères Sisters
frapper, mais je le retins, et mon frère retourna alors au campement pour rassembler ses affaires. Je ne sais pas ce quâil avait, ce gosse, mais il me suffisait, à moi aussi, de le regarder pour avoir envie de lui flanquer une torgnole. Il avait une tête qui incitait à la violence. Il pleurait à chaudes larmes  ; la morve fleurissait dans ses narines, et à peine une bulle avait-elle explosé dans la droite, que la gauche prenait la relève. Je lui expliquai que notre situation ne nous permettait pas de nous occuper dâun enfant, et que notre façon de vivre était mouvementée et dangereuse, mais je parlais dans le vide  : le garçon nâentendait pas mes mots, tant il était enfermé dans sa propre tristesse. Pour finir, craignant de le frapper sâil ne cessait de geindre, je lâemmenai de lâautre côté du ruisseau, au camp du prospecteur, et sortis de ma sacoche ma blague à tabac. Je lui montrai lâor, et lui dis  : «  Avec ça, tu devrais pouvoir rentrer chez toi et retrouver ta bien-aimée, si tu réussis à éviter de te faire défoncer la tête. Il y a de la viande de cheval sous cette tente. Je te suggère de manger et de nourrir Lucky Paul, et de te reposer pour la nuit. Aux premières lueurs du jour, je veux que tu fasses demi-tour, et que tu repartes précisément par où tu es venu.  » Je lui tendis la blague, et il resta à la fixer dans sa main. Charlie, qui avait observé la transaction du coin de lâÅil, sâapprocha de nous.
«  Quâest-ce que tu fais  ? me demanda-t-il.
â Vous me la donnez  ? dit le garçon.
â Mais quâest-ce que tu fabriques  ?  » demanda Charlie.
Je dis au garçon  : «  Retourne au col, et continue vers le nord. Une fois arrivé à Jacksonville, va trouver le shérif et explique-lui ta situation. Si tu sens que tu peux lui faire confiance, propose-lui dâéchanger tes pépites dâor contre de lâargent liquide.
â Ha, ha, dit le garçon en soupesant la blague dans sa main.
â Je suis contre, dit Charlie. Tu balances cet argent par les fenêtres.  »
Je dis, «  Câest de lâargent sorti de terre, dont ni toi ni moi nâavons besoin.
â Sorti de terre et câest tout  ? Il me semble pourtant me rappeler que nous ne nous sommes pas contentés de creuser le sol.
â Eh bien, le garçon a ma part, pas la tienne.
â Quâest-ce que vient faire ma part là -dedans  ?
â Le sujet est clos, alors.
â Câest toi qui as commencé à en parler.
â Oublions ça.  » Je reportai mon attention sur le garçon, et poursuivis  : «  Une fois que le shérif tâaura réglé ce qui tâest dû en échange des paillettes, je veux que tu te trouves de nouveaux habits, qui te fassent paraître plus vieux. à mon avis, tu devrais tâacheter le chapeau le plus large que tu puisses trouver, afin de te couvrir complètement la tête. Et tu auras aussi besoin dâun nouveau cheval.
â Et Lucky Paul  ? demanda le garçon.
â Tu devrais le vendre au prix que tu pourras obtenir. Et si tu ne trouves pas dâacheteur, abandonne-le.  »
Le garçon secoua la tête. «  Jamais je ne me séparerai de lui.
â Dans ce cas, tu ne rentreras jamais chez toi. Il te ralentira jusquâà ce que tu nâaies plus dâargent et que vous mourriez tous deux de faim. Jâessaie de tâaider, tu comprends  ? Si tu ne mâécoutes pas, je vais te reprendre cet or.  »
Le garçon se mura dans le silence. Je remis du bois dans le feu et lui suggérai de bien faire sécher ses vêtements avant le coucher du soleil. Il se déshabilla mais ne suspendit pas ses nippes  ; elles restèrent là en tas dans la gadoue et le sable, tandis quâil se plantait devant nous, nu et tout de guingois, abattu et de mauvaise humeur. Avec ses vêtements sur le dos, il nâétait pas particulièrement joli à voir  ; nu, je me dis quâil ressemblait à un bouc. Il se remit à pleurer, ce que je pris pour le signal du départ. Je grimpai sur Tub et souhaitai au garçon bon voyage, mais ces mots étaient vides de sens, car il était
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