Les Frères Sisters
savoir pourquoi. Quoi quâil en soit, mon séjour à Oregon City a été un échec sur toute la ligne. Je me suis fait dépouiller par un boiteux. Aucun de vous deux ne boite, nâest-ce pas  ?
â Vous nous avez vus arriver, dis-je.
â Je nây ai pas prêté attention alors.  » Il demanda, presque sérieusement, «  Verriez-vous un inconvénient à vous lever et à claquer des talons pour moi  ?
â Oui, jây verrais un sacré inconvénient, dis-je.
â Nous sommes tous deux solides sur nos jambes, affirma Charlie avec assurance.
â Mais tu ne le ferais pas  ? me demanda-t-il.
â Je préférerais mourir plutôt que de claquer mes talons pour vous.
â Câest lui, le grincheux  ? dit Mayfield à Charlie.
â On alterne, répondit Charlie.
â En tout cas, je te préfère à lui.
â Et quâest-ce quâil vous a pris, ce boiteux  ? demanda Charlie.
â Il mâa dérobé une bourse pleine dâor, dâune valeur de vingt-cinq dollars, et un Colt Paterson à crosse dâivoire, inestimable à mes yeux. Le saloon sâappelait le Pig-King. Vous connaissez  ? Je ne serais pas surpris sâil nâexistait plus, étant donné que ces villes changent si vite.
â Il est toujours là , dit Charlie.
â Lâhomme qui mâa dépouillé avait un couteau avec une lame arquée, comme une petite faux.
â Ah, vous parlez de Robinson  », dit Charlie.
Mayfield se redressa. «  Quoi  ? Tu connais cet homme  ? Tu es sûr  ?
â James Robinson, acquiesça-t-il.
â à quoi tu joues  ?  » demandai-je. Charlie se pencha et me pinça la cuisse. Mayfield tâtonna à la recherche de son encrier et nota le nom.
«  Vit-il toujours à Oregon City  ? demanda-t-il, essoufflé.
â Oui. Et il a toujours la même lame arquée dont il sâest servi pour vous détrousser. Il boitait à lâépoque à cause dâune blessure qui a depuis cicatrisé, mais ce nâest plus le cas maintenant. Vous le trouverez toujours assis au King, comme avant, en train de faire des plaisanteries que personne nâapprécie, et qui en vérité ne veulent jamais rien dire.
â Jâai souvent pensé à lui ces dernières années  », dit Mayfield. Il posa sa plume sur son porte-plume et nous dit, «  Je le ferai étriper avec sa petite faux. Je le ferai pendre avec ses propres intestins.  » Je ne pus mâempêcher de rouler les yeux en entendant cette tirade. Un morceau dâintestin ne supporterait pas le poids dâun enfant, et encore moins celui dâun homme adulte. Mayfield sâexcusa pour aller uriner  ; dans lâintervalle de trente secondes pendant lequel il sâabsenta, mon frère et moi échangeâmes rapidement, à mots couverts  :
«  Quâest-ce qui te prend, de livrer Robinson de la sorte  ?
â Robinson est mort du typhus il y a six mois.
â Quoi  ? Tu es sûr  ?
â Sûr de sûr. Jâai rendu visite à sa veuve la dernière fois que nous étions en ville. Tu savais quâelle avait de fausses dents  ? Jâai failli avoir un haut-le-cÅur quand elle les a crachées dans son verre dâeau.  » Une fille passa devant lui en lui chatouillant le menton  ; il lui sourit et me demanda distraitement, «  Et si on restait pour la nuit  ?
â Je préférerais partir. Tu seras malade demain matin, et on va encore perdre une journée. En plus, on va avoir des ennuis avec Mayfield.
â Si ennui il y a, ce sera pour lui, pas pour nous.
â Les ennuis, câest les ennuis. Je préfère partir.  »
Il secoua la tête. «  Je regrette, mon frère, mais le mirmidon part en guerre ce soir.  »
Mayfield sortit des cabinets en reboutonnant son pantalon. «  Quâest-ce que câest que ça  ? Je nâaurais jamais pensé que les fameux frères Sisters faisaient des messes basses.  »
Cependant que derrière nous dans la pièce, les filles de joie rôdaient, tels des chats.
Â
Charlie avait bu trois verres dâeau-de-vie, et son visage prenait cette
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