Les Frères Sisters
 ! Heureusement, la femme ne sâen formalisa pas. «  Oui, jâai une chambre ici, mais parfois je dors dans une autre, quand il y en a de disponibles, parce que cela mâamuse.
â En quoi est-ce amusant  ? mâenquis-je. Ne se ressemblent-elles pas toutes  ?
â Elles se ressemblent en apparence. Mais en vérité les différences sont notables.  »
Je ne savais pas quoi répondre. Lâeau-de-vie mâimplorait de continuer à palabrer, mais alors que jâouvrais la bouche pour articuler quelque chose, une sagesse inespérée sâempara de moi, et je resserrai les mâchoires en gardant le silence. Jâétais en train de me féliciter intérieurement quand la femme se mit à chercher du regard un endroit pour se débarrasser de sa cigarette. Je proposai de mâen charger et elle déposa le mégot fumant dans ma paume ouverte. Jâécrasai le bout incandescent entre mes doigts tout en continuant à la regarder calmement, dans lâespoir, jâimagine, de lâimpressionner par ma capacité à endurer la douleur, qui a toujours été au-dessus de la normale  : Arrête de boire de lâeau-de-vie  ! Je mis la cendre et le papier calciné dans ma poche. Lâattention de la femme nâen fut pas affectée et demeura distante. Je dis, «  Je ne sais que penser de vous, madame.
â Que voulez-vous dire  ?
â Je nâarrive pas à savoir si vous êtes heureuse, triste, folle ou autre chose.
â Je suis malade.
â Malade comment  ?  »
Elle sortit de la poche de sa robe un mouchoir maculé de sang, quâelle exhiba avec un amusement macabre. Mais je ne pris pas la chose à la légère  ; en vérité, la vue des taches me révolta. Sans réfléchir, je lui demandai alors si elle était mourante. Son visage sâassombrit, et je me confondis en excuses  : «  Ne me répondez pas. Jâai trop bu. Me pardonnerez-vous  ? Sâil vous plaît, dites-moi que oui.  »
Elle nâen fit rien, mais elle ne sembla pas non plus me tenir rigueur de mes propos, et je décidai de poursuivre comme si je nâavais pas commis dâimpair. Aussi naturellement que je le pus, je demandai, «  Où allez-vous à présent, sans indiscrétion  ?
â Nulle part en particulier. Il nây a pas dâautre endroit que cet hôtel, la nuit.
â Eh bien, dis-je en faisant un claquement de langue, on dirait que vous mâattendiez ici.
â Non.
â Vous avez laissé la porte entrouverte, afin que je puisse vous suivre.
â Non.
â Moi je crois que si.  »
Jâentendis un craquement dans le couloir  ; la femme et moi nous tournâmes et vîmes un trappeur qui se tenait debout, en haut de lâescalier. Il était en train de nous surveiller, et son visage était renfrogné. «  Tu devrais regagner ta chambre maintenant, lui dit-il.
â En quoi cela te concerne  ? répliqua-t-elle.
â Je travaille pour le patron, non  ?
â Moi aussi. Je discute avec lâun de ses invités.
â Il va y avoir des problèmes si tu continues.
â Des problèmes avec qui  ?
â Tu sais. Avec lui.
â Toi, là , dis-je au trappeur.
â Quoi  ?
â Disparais.  »
Lâhomme marqua une pause, puis plongea sa main dans sa barbe dâun noir bleuté, pour se gratter la joue et la mâchoire. Il tourna les talons, redescendit lâescalier et la femme me dit, «  Il me suit partout dans lâhôtel. Je dois fermer ma porte à clé la nuit.
â Mayfield est votre homme, câest ça  ?  »
Elle désigna le salon plein de catins. «  Il nâa pas de femme attitrée.  » Comme elle éludait la question, je pris une mine désappointée, et elle ajouta, «  Mais non, nous nâavons pas de lien intime. Ce fut le cas à une époque peut-être.  »
Le rire tonitruant de mon frère me parvenait à travers la porte. Charlie a un rire stupide et sonore. Il brait plus quâautre chose. «  Cette ville ne me fait pas grande impression  », dis-je.
La femme sâapprocha de moi. Voulait-elle que je lâembrasse  ? Non, elle
Weitere Kostenlose Bücher