Les Frères Sisters
couleur écarlate annonciatrice dâun état dâébriété des plus affligeant. Il commença à interroger Mayfield sur ses affaires et ses succès, dâun ton empreint dâune déférence que je nâaimais pas entendre dans la bouche de mon frère. Mayfield répondait vaguement aux questions, mais je déduisis de ses propos quâil avait touché le gros lot et quâà présent il se consacrait à dépenser ses richesses aussi vite que possible. Je me lassai de leur bavardage emprunté, et mâenivrai en silence. Les femmes ne cessaient de sâapprocher de moi et de me titiller en sâasseyant sur mes genoux jusquâà ce que mon organe sâengorge. Après quoi, éclatant de rire, elles sâécartaient pour aller retrouver mon frère ou Mayfield. Je me souviens mâêtre levé pour remettre en place mon appendice enflé, et avoir remarqué que mon frère et Mayfield étaient congestionnés eux aussi. Ainsi nous étions là , autour dâune table à débattre, en gentlemen civilisés, des événements du jour, avec de palpitantes érections. Sous lâeffet croissant de lâeau-de-vie, je nâarrivais plus à faire la différence entre les filles  ; leurs gloussements et leurs parfums formaient un amalgame tapageur qui mâattirait et me révulsait tout à la fois. Mayfield et Charlie étaient apparemment en pleine conversation, mais en vérité ils se parlaient à eux-mêmes, et ne souhaitaient entendre que leurs propres mots et leurs propres voix  : Charlie se moqua de ma brosse à dents, et Mayfield réfuta le pouvoir des baguettes de sourcier. Ils continuèrent de la sorte encore et encore, jusquâà ce que je les déteste tous deux. Lorsquâun homme est vraiment saoul, songeai-je, câest comme sâil était enfermé dans une pièce avec lui-même â une barrière insaisissable mais tangible le sépare de ses congénères.
Jâavalai une eau-de-vie puis une autre, et remarquai une nouvelle femme dans un coin éloigné du salon, qui se tenait seule devant une fenêtre. Elle était plus pâle et moins potelée que les autres, et lâinquiétude ou le manque de sommeil cernaient ses yeux. Malgré son physique frêle, câétait une véritable beauté avec ses yeux couleur de jade et ses cheveux dorés qui lui tombaient jusque dans le bas du dos. Enhardi par lâeau-de-vie et la crétinerie quâelle engendre, je la regardai fixement jusquâà ce quâelle ne pût mâignorer et me lançât un sourire charitable. Je lui fis un clin dâÅil et elle eut encore plus pitié de moi. Elle traversa le salon pour partir, sans me quitter des yeux. Elle sortit et je restai à observer la porte quâelle avait laissée entrouverte.
«  Qui était-ce  ? demandai-je à Mayfield.
â Qui  ? dit-il.
â Câétait qui le kiki  », dit Charlie, et toutes les filles éclatèrent de rire.
Je quittai la pièce à mon tour et la trouvai en train de fumer une cigarette dans le couloir. Elle ne fut pas surprise de me voir, ce qui, pour autant, ne signifiait pas quâelle en fût contente. Il est probable que, chaque fois quâelle quittait une pièce, un homme ou un autre la suivait, et quâelle avait dû sây habituer, à force. Je tendis la main pour ôter mon chapeau, mais il nâétait pas sur ma tête. Je lui dis, «  Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi jâen ai assez de ce qui se passe dans cette pièce.  » Elle resta silencieuse. «  Mon frère et moi avons vendu une fourrure à Mayfield. Et maintenant nous sommes obligés de rester là à lâécouter se vanter et raconter ses mensonges.  » Elle continua à regarder dans le vide en avalant sa fumée, un sourire suspendu aux lèvres, et je ne parvenais pas à déchiffrer ses pensées. «  Que faites-vous ici  ? demandai-je.
â Jâhabite ici. Je suis la comptable de monsieur Mayfield.
â Vous avez une chambre dans cet hôtel, ou vivez-vous ailleurs  ?  » Je me dis, Voici précisément le genre de question à ne pas poser, et je la pose à cause de lâalcool. Arrête de boire de lâeau-de-vie
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