Les Frères Sisters
pensais pas quâun mulet pût porter plus de marchandise que ce que portait ce Benny.
â Quel genre de matériel  ? demandai-je.
â Des batées, des bâches, de la corde, du bois. Tout ce quâil faut. La seule chose bizarre, câest quâils transportaient aussi quatre fûts dâenviron cent litres chacun, deux par mulet. Le rouquin mâa dit quâils étaient remplis de vin. Il ne mâen aurait pas vendu une goutte, le ladre  ! Jâaime boire un petit coup autant que nâimporte qui, mais trimballer une telle quantité dâalcool en pleine nature, câest précisément le genre de cupidité qui vous mènera droit à votre perte. On peut tuer un mulet à lui demander de porter trop lourd. Et câest exactement ce que ces deux-là étaient en train de faire, je crois bien.
â Savez-vous où ils allaient  ?
â Ils voulaient à tout prix savoir où se trouvait un barrage de castors dont je leur avais parlé. Je lâavais seulement mentionné comme un endroit à éviter, mais ils voulaient tout savoir.
â Où est-ce  ? demanda Charlie.
â Vous avez exactement le même regard quâeux  ! Et je vais vous dire ce que je leur ai dit  : ce coin de rivière ne mérite pas le détour. Ces castors vous arracheront tous les morceaux de bois de votre campement, dès que vous aurez le dos tourné, et vous pourrez faire une croix sur tout ce que vous laisserez dans la rivière, tamis à bascule ou quoi que ce soit dâautre. Rien ne les arrête, rien ne leur fait barrage. Hé, hé  ! Câest le cas de le dire  ! Elle est bonne celle-là  !  » Il fut secoué de tics, et jâen profitai pour jeter mon eau boueuse dans lâherbe. Dès que sa crise fut passée, il remarqua que ma tasse était vide, et mâen servit une autre, en mâenjoignant de boire. Je portai ma tasse à ma bouche, et posai mes lèvres sur le bord, sans toutefois avaler la moindre goutte de liquide.
Charlie dit, «  Si câest là -bas que se sont rendus nos amis, nous aimerions leur rendre visite.
â Eh bien, vous ne pourrez pas dire que je ne vous aurai pas prévenus. Mais vous saurez que vous nâêtes pas loin lorsque vous dépasserez un campement à une dizaine de kilomètres dâici. Nâessayez même pas de faire connaissance, car ceux-là nâont aucune envie de créer des liens. à vrai dire, ce sont de vrais rustres. Mais peu importe. à quatre kilomètres de là , vous trouverez le barrage. Vous ne pourrez pas le rater, câest tellement grand. Il fit la grimace en soulevant la bouilloire pour se servir une autre tasse de sa mixture. Je lui demandai sâil était blessé, et il opina du chef. Il sâétait battu à coups de couteau avec un Indien, et il avait gagné, dit-il, mais lâIndien lui avait arraché un morceau de chair, ce qui lâaffaiblissait. Il était resté étendu près du corps pendant de longues heures avant de pouvoir rassembler ses forces pour se lever. Il souleva sa chemise pour nous montrer le trou sous sa poitrine. Les bords étaient en train de cicatriser, mais il y avait encore une croûte au centre  : une vilaine blessure. Qui remontait à trois semaines, me semblait-il. «  Il ne mâa pas raté. Mais je crois que je peux dire que je ne lâai pas raté non plus.  » Il sâécarta du feu et se dirigea vers Benny, pour ranger sa tasse et sa bouilloire dans son chargement.
«  Où est votre cheval  ? demanda Charlie.
â Câest à ce propos que je me suis battu avec lâIndien, je ne vous ai pas dit  ? Il mâa volé mon Jesse une nuit pendant que je dormais. Lorsquâil est revenu le lendemain pour faire main basse sur Benny, je lâattendais. Eh bien, câest une belle journée pour marcher. Et si mon vieux Ben peut le faire, moi aussi.  » Il souleva son chapeau. «  Merci pour votre compagnie. Je trinquerai à votre santé en ville.
â Jâespère que tous vos projets se réaliseront  », lui lançai-je, et il mâadressa un sourire de dément, en lâchant, «  Hé, hé  !  » Il se tourna et sâen alla, avec Benny à sa suite. Quand il fut assez
Weitere Kostenlose Bücher