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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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loin pour ne pas nous entendre, Charlie me demanda, «   Qu’est-ce qu’il avait, le café   ?   » Je lui tendis ma tasse   ; il trempa ses lèvres et cracha. Impassible, il déclara, «   C’est de la terre.
    â€” Je sais.
    â€” Cet homme boit de la terre   ?
    â€” À mon avis, je ne crois pas qu’il sache que c’est de la terre.   »
    Charlie souleva la tasse et but une autre gorgée. Il garda le liquide dans sa bouche quelques secondes avant de le cracher à nouveau. «   Comment peut-il penser que ce n’est pas de la terre   ?   »
    Je repensai au prospecteur perclus de tics, au prospecteur au poulet, et au prospecteur mort, au crâne défoncé, et dis, «   J’ai l’impression que la solitude des grands espaces n’est guère propice à la santé.   » Charlie scruta autour de lui la forêt, avec une pointe de méfiance. «   Allons-y   », dit-il en se tournant pour ranger ses affaires.
    Tub avait l’air mal en point, et je préférai ne pas lui désinfecter l’œil, car il avait besoin de l’énergie requise pour se rendre jusqu’au barrage de castors. Il respirait difficilement, et refusait de boire, et je dis à Charlie, «   Je crois que Tub est en train de mourir.   » Il ausculta brièvement Tub   ; et sans qu’il prononce un seul mot, je compris qu’il était d’accord avec moi. Il dit, «   Nous ne sommes qu’à quelques kilomètres, et avec un peu de chance nous pourrons rester là-bas suffisamment de temps pour que Tub se repose et recouvre ses forces. Tu ferais mieux de lui désinfecter l’œil, et après on part.   » J’expliquai que je trouvais préférable de ne pas le soigner maintenant, et Charlie eut une idée. Il sortit un flacon de sa sacoche   ; souriant, il me le tendit. «   Tu te souviens   ? Le liquide anesthésiant du dentiste   ?
    â€” Oui   ? dis-je sans comprendre où il voulait en venir.
    â€” Et si tu lui en mettais un peu avant de passer l’alcool   ? Verse-le dans son œil et laisse agir un peu. Ça atténuerait la douleur, je te le garantis.   »
    Je n’étais pas sûr que le liquide agirait sans être injecté, mais la curiosité l’emporta, et j’en versai une petite quantité dans l’orbite de Tub. Il sursauta et se raidit, s’attendant à sentir la même douleur qu’avec l’alcool, mais rien de tel ne se produisit, et il se remit à haleter. Je me précipitai alors et lui versai de l’alcool. Il se raidit à nouveau mais ne hennit pas, ne se cabra pas, ne pissa pas. J’étais heureux que Charlie eût pensé à ce produit   ; lui non plus n’en était pas mécontent, et il caressa le museau de Tub comme s’il lui voulait réellement du bien. Nous nous mîmes alors en marche, en remontant le cours de la rivière. L’humeur heureuse qui régnait entre nous me sembla de bon augure, et j’espérai que cela durerait.

 
    Le campement au sud du barrage de castors était dans un triste état   : les couchages étaient éparpillés autour d’un feu, et les outils et les morceaux de bois gisaient n’importe comment sur le sol. Debout, trois hommes à l’air bourru observaient notre approche. Ils étaient particulièrement crasseux, même pour des prospecteurs   : leurs barbes étaient emmêlées, leurs visages noircis par la suie ou la boue, leurs vêtements tachés et déchirés   ; en vérité, tout, chez eux, avait l’air sombre et miteux, à l’exception de leurs yeux, tous d’un bleu éclatant. Des frères, pensai-je. Deux d’entre eux tenaient des fusils, prêts à l’emploi   ; le troisième portait des pistolets à la ceinture. Charlie les héla   : «   Est-ce que l’un d’entre vous a vu deux hommes se diriger vers le nord il y a quelques jours   ? Un barbu, l’autre pas   ?   » Devant leur silence, j’ajoutai, «   Ils avaient deux mulets avec eux, chargés de fûts de vin.   » Toujours aucune réponse. Nous les dépassâmes et je les gardai à l’œil, car ils m’avaient tout l’air d’être du genre à tirer sur un

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