Les Frères Sisters
dans leur propriété.  »
Charlie sâinterrompit, sâabandonnant au souvenir. «  Câétait une bande de durs à cuire, câest vrai.
â Jâavais le sentiment que câétait juste, parce que, quâils aient ou non trahi le Commodore, câétaient des hommes maléfiques, vraiment, et ils nous auraient tués si nous nâavions pas bougé les premiers. Mais ces deux-là , Warm et Morris, ce serait comme de tuer des enfants ou des femmes.  »
Charlie resta silencieux. Il songeait à lâavenir, proche comme lointain. Je voulais lui en dire davantage mais je ne lâinterrompis pas, car jâavais le sentiment de mâêtre exprimé suffisamment pour faire passer mon message. Jâétais soulagé que nous ayons eu cette conversation, et que Charlie ne fût pas catégoriquement opposé à ma façon de penser. Jâétais également soulagé de constater que le ressentiment que nous avions lâun vis-à -vis de lâautre en quittant San Francisco sâatténuait peu à peu. Mais à vrai dire, ce genre de discussion à froid nous permettait souvent de faire la paix.
Â
Le soir tomba avant que nous puissions trouver le placer de Warm, et nous installâmes notre campement sous des chênes. Je désinfectai Tub et il hurla en bottant et en se cabrant. Lorsque la douleur sâatténua, il sâallongea, haletant, le regard perdu dans le vague. Il nâavait guère dâappétit mais jâétais persuadé quâil restait encore en lui une bonne dose de vie, et que bientôt il commencerait à récupérer. Tandis que je sombrais dans le sommeil, je contemplais les cimes des arbres qui se balançaient et se percutaient dans le vent. Jâentendais la rivière sans pouvoir la situer exactement  ; tantôt jâavais lâimpression quâelle était au nord, tantôt jâétais certain quâelle était au sud. Le lendemain matin je découvris quâelle était en fait à lâest. Après le déjeuner, nous trouvâmes la concession de Warm, et décidâmes dây passer la nuit, afin que Tub puisse se reposer toute une journée, et Charlie et moi nous concentrer sur ce qui nous attendait.
Lâendroit était accueillant et confortable, et nous nous installâmes sur un plat herbeux au bord de la rivière. Un petit panneau planté à lâentrée du placer annonçait  : CES EAUX SONT LA PROPRIÃTà TEMPORAIRE DE HERMANN KERMIT WARM, UN HONNÃTE HOMME EN TRÃS BONS TERMES AVEC LA PLUPART DES ANGES DU PARADIS. CEUX QUI OSERONT TREMPER LEUR BATÃE DANS CE SECTEUR SERONT PRIS DâASSAUT, INSULTÃS, ET FRAPPÃS à COUPS DE HARPE TRANCHANTE, ET PROBABLEMENT DâÃCLAIRS. Des branches de vigne soigneusement dessinées sâentortillaient autour des mots. Warm avait consacré du temps à la chose.
De grosses truites se prélassaient dans lâeau, et Charlie en tua une dâune balle en pleine tête, pour notre dîner. Un nuage de sang sâéchappa du poisson, et il se mit à dériver au gré du courant. Charlie se jeta dans lâeau, ramassa le poisson par la queue, et le balança sur la rive où jâétais assis. Je le vidai, enlevai la peau et le fis frire dans de la graisse de porc. Il pesait plus dâun kilo, et nous le dévorâmes entièrement, sauf la tête. Lâherbe verte et épaisse était moelleuse et nous dormîmes bien lâun et lâautre. Le lendemain matin un homme se tenait devant nous, petit, hirsute et souriant, un heureux prospecteur qui allait retrouver la civilisation avec son sac de paillettes et de pépites durement gagnées.
«  Bonjour, messieurs, dit-il. Jâallais justement me faire un feu pour me préparer un café lorsque jâai senti la fumée du vôtre. Je serais heureux de vous en offrir une tasse si je pouvais profiter de votre foyer.  »
Jâacceptai, il raviva le foyer et installa sa bouilloire noircie directement sur les braises. Ce faisant, il se parlait doucement, en sâencourageant et se félicitant  : «  Bien, bien. Excellent, excellent. Câest bon, ça.  » Toutes les trente secondes il était secoué de tics, et je pensai, Il a passé trop de temps seul en pleine nature, et il sâest
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