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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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de Dieu est parfois bien plus redoutable que toutes les pitreries du Malin. Suivez-moi, nous allons nous asseoir.
    En glissant sur ses chausses, il alla vers le fond de la pièce et prit le temps d’allumer une lampe qui dispensa autour d’eux une lumière caressante. Puis il sortit de la poche de sa soutane une paire de lunettes, l’essuya, l’ajusta soigneusement sur son nez et regarda Delphine plus attentivement.
    — Votre rêve, comme le sel, est d’une nature ambiguë, bénéfique et maléfique. Bénéfique, oui, car le sel est le symbole de l’esprit. « Vous êtes le sel de la terre », a dit Jésus à ses apôtres et l’alliance faite par Yahvé avec son peuple est une alliance de sel et une alliance bien plus solide que celle du pain et du vin car le sel, lui, ne se détériore jamais. Il éclaire d’une transparence grise ; c’est une lumière sèche. Et c’est pour cela qu’au baptême on en pose une pincée sur la langue du communiant.
    Il s’arrêta, réfléchit, se leva et vint chercher sur l’un des rayons de sa bibliothèque un gros ouvrage à la couverture vert bronze.
    — Le Pontificat romain de 1296, rédigé par Guillaume Durand, évêque de Mende qui recense les différents usages liturgiques du sel et décrit dans quelle proportion il faut le mélanger à l’eau bénite dans la préparation des rites propitiatoires.
    Il reposa l’ouvrage, revint en traînant des pieds jusqu’à sa chaise.
    — Mais votre rêve, n’est-ce pas, était une tempête ?
    — Oui, mon père.
    — Voilà qui est plus délicat. L’aspect maléfique semble l’emporter.
    — Maléfique ?
    — Hélas, mon enfant ! Le sel est aussi le feu de Dieu, le châtiment suprême, la malédiction de Yahvé ! « Il peut changer les fleuves en désert/ Les sources en pays de la soif/ Une terre fertile en saline/ À cause de la méchanceté de ses habitants », disent les Psaumes. Et il est raconté dans le livre des Juges que lorsque Abimélek s’empara de la ville de Migdol-Sichem, au nom de Dieu, il en massacra la population, détruisit la cité et y sema le sel pour que rien n’y repousse, et ce fut aussi, à ce que l’on raconte, ce que firent les Romains sur les ruines fumantes de Carthage ! Mais revenons à votre songe, vous-même, dans cette tempête, comment vous comportiez-vous ?
    Elle hésita. Pourquoi avait-elle inventé cette histoire de rêve ? N’aurait-il pas été plus simple d’invoquer le meurtre devant le chanoine ? À la vérité, dès que Guillaume lui avait conté la mésaventure terrible de Mme de Saintonges, elle s’était identifiée à cette pauvre femme.
    — J’étais paralysée et le sel m’avait entièrement recouverte. J’en avais partout sur mon corps, dans les yeux, dans la bouche et je ne pouvais plus bouger.
    Le chanoine se frottait la joue droite, concentré, le regard éteint posé sur Delphine. Il semblait prendre plaisir à se râper les doigts à sa barbe renaissante.
    — N’avez-vous pas récemment, finit-il par demander, regardé là où il ne fallait pas ?

    3.
    C’était une sorte de campement de Gitans, avec de petits feux sur lesquels chauffaient des marmites, des courtines étendues sur le sol, des besaces, des nattes sur lesquelles étaient posées des bouteilles et des outils tranchants.
    Les hommes ne soufflaient mot, peinaient, se crachaient dans les mains, abattaient leur hache en des « han ! » formidables et ne s’arrêtaient que pour regarder les arbres s’abattre avec un long déchirement de fibres.
    Guillaume renouvela sa demande :
    — Connaissez-vous un certain Coulomb, un manoeuvre, avec une belle cicatrice à l’épaule ? On m’a dit qu’il était parfois avec vous.
    Cela faisait plusieurs jours qu’il parcourait à cheval les environs du lieu où l’on avait préparé le guet-apens fatal à Mme de Saintonges. Il allait de ferme en ferme, de village en village, s’arrêtant dans les auberges et offrant volontiers à boire dans les tavernes. Il se gardait bien de préciser pourquoi il s’intéressait à cet homme et à sa cicatrice. Il se contentait de le décrire : la cinquantaine, peut-être plus, trapu et chauve, et portant à l’épaule gauche cette blessure curieuse centrée sur le rond du bras. Et puis un soir, il avait eu son information. Un mendiant cul-de-jatte qui sévissait devant l’église d’un village l’avait poursuivi sur le pavé glissant avec sa petite voiture ferrée.
    — Je
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