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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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Les ailes déployées, c’est là symbole d’ange !
    — Vous voulez dire que…
    — Qu’il y a, à l’évidence, dans la mise en scène du meurtre de Mme de Saintonges, une allusion à ce texte biblique.
    Guillaume prit délicatement l’ouvrage des mains de sa jeune femme. Il relut, concentré à l’extrême, la dernière phrase : « Or la femme de Lot regarda en arrière et elle devint une colonne de sel. »
    — Cette pauvre femme, dit Delphine en se coulant dans les mots du chanoine, a regardé là où il ne fallait pas et elle en a été châtiée.
    — Nous ne pouvons garder ces informations pour nous. Je vais écrire à M. de Chabas pour l’informer.

    5.
    Certains jours, des ondées crevaient et engloutissaient la vallée sous les torrents d’une encre noire qui plongeait la pièce dans une semi-obscurité et qui, par contraste, donnait au feu allumé dans le salon de Mme de Beaumont une présence extraordinaire. Ils s’en rapprochaient l’un et l’autre, ajoutant de grosses bûches dans l’âtre, se réfugiant dans ce halo de lumière et de chaleur qui les isolait du monde. Delphine se serrait contre Guillaume et, de concert, ils tournaient les pages de ses cahiers. Elle avait l’illusion alors qu’elle pourrait le garder. Ils épluchaient ensemble les comptes rendus rédigés par les brigades de gabelous, contant par le menu les accrochages avec les troupes organisées de faux sauniers. La recrudescence de la contrebande concernait sans surprise les zones frontalières entre les régions, là où le trafic était le plus rentable. Ils identifièrent ainsi trois foyers principaux de faux saunage soumis à la nouvelle organisation quasi militaire qui effrayait tant la Ferme générale : les contrebandiers béarnais et navarrais proposaient leur marchandise en Guyenne ; dans le Centre, le sel de fraude était vendu par des bandes venues de la Marche, du Poitou, du Quercy, qui poussaient parfois jusqu’en Languedoc ; enfin les faux sauniers de la haute Auvergne trafiquaient dans le Lyonnais, le Forez, le Velay et le Gévaudan.
    Delphine s’indignait des inégalités engendrées par la complexité et la diversité des régimes d’assiette et de recouvrement de l’impôt :
    — Ni le clergé, ni la noblesse, ni les officiers jouissant du privilège de franc-salé ne payent votre impôt, disait-elle à Guillaume. La Bretagne, le Béarn, le Boulonnais, y échappent entièrement, d’autres régions jouissent d’un tarif de faveur et ce sont les petites gens des vieilles terres royales qui supportent l’essentiel du fardeau. Il ne faut pas s’étonner si certains sont tentés par la contrebande !
    — Ce n’est pas mon impôt, répondait Guillaume en souriant. Et l’on ne peut jamais excuser ceux qui ne respectent pas les lois du royaume.
    — Mais cette loi est mal faite ! Et que dire de l’imposition forcée du sel dans les pays de grande gabelle ! Les fermiers contraignent les particuliers de prendre dans leurs greniers une certaine quantité de sel, le plus souvent au-delà de leurs forces, sans que celui qui pourrait leur rester d’une année puisse leur servir pour l’autre !
    — Vous l’avez lu comme moi, Delphine. Il s’agit de donner aux habitants des zones frontières du sel forcé en quantité suffisante pour les empêcher de céder à l’attrait du faux sel.
    — On pend pour moins que cela les brigands qui rançonnent les voyageurs !
    Mais d’autres jours la lumière se brouillait, un temps de brume et de boue plongeait le paysage dans une tristesse insidieuse. Une pluie fine tombait sans relâche, délayant les allées, gâchant les routes, piquant la surface fangeuse de l’étang de milliers d’aiguilles, déposant jusque dans les yeux de Guillaume les lies d’un gris épais qui alourdissait son regard. Alors, ils ne se parlaient plus, ils écoutaient l’eau crépiter sur les vitres et dégouliner en cascades des gargouilles. Ils restaient près des fenêtres, face aux forêts hérissées de piques et de herses. Le ciel descendait si bas que son ventre roulait dans la fange. Là-bas sur le chemin, des hommes se battaient avec les rafales en poussant les bêtes devant eux et il semblait à Delphine que leur amour n’était pas plus fort que le halo jaunâtre des lanternes qu’ils brandissaient à bout de bras, pâle et chancelant, si fragile au milieu de la tempête.
    Le temps passait. Noël vint, avec son cortège de cloches sonnant à toute
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