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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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connais votre homme, avait-il dit en plissant les yeux, et c’est grand mérite pour un pauvre gueux comme moi qui n’ai plus que la moitié de ses facultés.
    Guillaume lui avait glissé des pièces et le mendiant lui avait indiqué qu’un certain Coulomb, un journalier qui se vendait pour quelques sous, correspondait fort à sa description. La dernière fois qu’il l’avait vu remontait à près d’une semaine. Il aidait les bûcherons de la forêt bordant la route de Paris.
    Que pouvait espérer Guillaume ? Que quelqu’un se soit lié avec son homme et puisse lui donner deux, trois informations : d’où il venait, qui l’embauchait habituellement ?
    L’un des bûcherons s’approcha. Il avait des joues de cuir sur un rire de cheval et dans les yeux une insolence à donner le fouet. Contre une pièce, il voulut bien le renseigner. Le dénommé Coulomb habitait la ferme voisine. Il leur prêtait main-forte à l’occasion. Il suffisait de suivre le sentier, après la clairière, et l’on tombait sur lui.
    — Mort ? rigola l’homme dans un hennissement qui découvrait toutes ses gencives. Alors, c’est tout récent, car je l’ai vu il y a moins d’une heure.
    Si celui-là était encore vivant, ce n’était pas son homme. Découragé, Guillaume faillit faire demi-tour. Mais il suivit tout de même le chemin tracé dans l’herbe grasse. La ferme était petite, avec un toit de chaume et des fenêtres cachées par des chiffons. Il entra sans appeler. Le dénommé Coulomb était un grand maigre, tout en muscles, avec des cheveux graisseux et plats, des joues creuses et des yeux largement dilatés. Il tournait autour d’un porc pendu à une poutre, la gorge cisaillée, et il en détachait les jambons. À côté de lui, du sang recouvert d’écume rose remplissait tout un seau.
    L’entrée de Guillaume le fit sursauter et il lui fit face, les bras rougis, le couteau à la main et dans les yeux le regard d’un ivrogne. Il y avait bien cette trace de brûlure à l’épaule gauche qui partait du rond du bras et descendait dans le dos en suivant l’omoplate mais elle était plus allongée et moins rouge que l’autre, presque grenat. Elle datait de plusieurs mois. Guillaume ne savait plus quoi lui demander.
    — Je cherchais un homme, dit-il incommodé par l’odeur fade du sang, et j’avais pensé, à cause de ta cicatrice…
    Le visage de Coulomb s’éclaira d’une méchante grimace qui lui tordait la bouche et découvrait ses gencives noires.
    — Un évadé des galères, c’est ça ?
    — Sa blessure ressemble à la tienne et…
    — Eh ! dit Coulomb en reculant d’un pas et en levant son couteau à mi-hauteur. Moi, c’est pas pareil. J’ai fait mon temps. J’ai été libéré !
    Guillaume par réflexe posa sa main sur le pommeau de son épée. L’homme était affolé et n’avait peut-être pas la conscience tranquille. Il fallait en profiter.
    — Je suis procureur du Roi, dit-il. C’est toi, n’est-ce pas, qui t’es fait cette brûlure ?
    Coulomb semblait pris de panique.
    — On ne peut pas trouver du travail si l’on garde la marque ! Vous le savez bien ! Les gens se méfient ! Personne ne se plaint de moi !
    — Quelle marque ?
    — Eh bien, les lettres des galères, GAL ! Les initiales d’infamie ! Ça fait deux ans qu’ils nous marquent comme des bêtes !
    — Tu as réussi à les enlever ?
    — Au fer rouge, il n’y a que comme ça et il faut brûler profond !
    Quand Guillaume remonta sur son cheval, il prit le temps de s’emplir les poumons de l’air frais qui tombait avec le soir. Le bruit des haches continuait à résonner dans le lointain. Le ciel avait des stries d’agate. Il lui semblait qu’il revivait, qu’une énergie toute neuve s’était mise à couler dans ses veines. Il venait de découvrir une chose qu’il pressentait capitale : le faux saunier abattu était, selon toute vraisemblance, un ancien galérien. Et ce n’était pas tout. Si l’on se référait au caractère récent de sa cicatrice, il s’était évadé ou avait été libéré depuis peu.

    4.
    Le froid prenait peu à peu possession de l’espace. Ils avaient annexé l’un des salons de Mme de Beaumont et y entreposaient les documents que leur avait fait parvenir M. de Chabas. Ils allumaient un bon feu de souche dans l’immense cheminée et travaillaient l’un à côté de l’autre. Delphine, pour garder son homme, se démenait. Elle avait dressé une grande
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