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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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Réfléchissait-il à leurs précédents propos ou jouissait-il de l’incertitude dans laquelle il le plongeait à cet instant ?
    — Elle arrive, dit-il enfin. On l’annonce.
    — Dites-lui que je pense à elle.
    — Que Dieu vous garde, monsieur.
    Et M. de Montmor referma le judas.

    4.
    À pas lents, toujours scandés par le tintement des chaînes, on les fit enfin traverser la place en direction d’un bâtiment à deux étages, aux fenêtres encadrées d’un cordon de pierre de taille. Le soleil était à son zénith. La chaîne des forçats, en passant de la diagonale d’ombre à la diagonale de soleil qui coupait de biais la place de l’arsenal, flamboya soudain comme trempée dans une huile éclatante. Guillaume ferma les yeux et jouit de la caresse des rayons sur sa peau. Toute énergie était désormais bonne à prendre, il le sentait.
    On leur fit ôter leurs « habits de liberté » et on leur fit passer une chemise de toile aussi épaisse et rude qu’un cilice, un caleçon cousu comme une jupe de femme à enfiler par-dessus la tête à cause des chaînes, une paire de chausses en grosse étoffe rouge. Les souliers, à ce qu’on dit à Guillaume, n’étaient réservés qu’à ceux qui s’en devaient aller à terre. Enfin, on leur donna une casaque et un bonnet de laine rouges. Tout cela était en double dans le trousseau ainsi qu’une capote en poil de boeuf qui devait servir aussi bien de protection contre les intempéries que de sac de couchage.
    Le commissaire à l’intendance se faisait aider par un pauvre bougre, un forçat aveugle et d’un âge avancé, à la carcasse de poulet et au teint d’un jaune de cire, le crâne marqué par des cicatrices et sur les bras des tatouages flasques, qui ramassait leurs habits à tâtons et se faisait insulter quand il n’allait pas assez vite.
    — Voilà ce que vous deviendrez ! rigolait le commissaire de temps en temps en désignant le vieux. Pareils à Mathusalem qui est ici depuis si longtemps qu’il ne sait plus pourquoi et que l’on ne garde que par charité.
    Guillaume toucha son barda juste avant Rembard et il se trouva nez à nez avec lui dans le couloir. L’homme l’accueillit avec un sourire qui déformait encore plus sa bouche débordante de dents et lui donna une bourrade dans l’épaule.
    — Ils nous ont bien amochés, l’autre soir !
    — Oui, dit Guillaume. C’était un plan crevé.
    Rembard fronça le sourcil.
    — C’est ton compère de chaîne qui nous a dénoncés. Je le sais de source sûre. On lui fera la peau !
    Guillaume n’eut pas le temps de répondre. Un argousin le poussa dans la cellule du « barberot ». C’était le nom qu’on donnait au forçat coiffeur et infirmier, un gars petit et sec avec des avant-bras poilus comme des pinces de homard. Il était ancien berger et il s’y connaissait en tonte des moutons.
    — Approche, dit-il à Guillaume avec une toute petite voix, je vais te raser le crâne.
    L’homme ne put s’empêcher, en connaisseur, d’admirer les mèches que lui présenta le jeune procureur.
    — Je vais essayer de ne pas trop les abîmer. Je connais des forçats perruquiers qui tiennent boutique sur le port et qui m’en donneront quelques pièces. Tu auras ta part, c’est régulier.
    — On peut avoir les chaînes et tenir boutique ?
    — Tout est possible ici, mon gars. Pourvu que l’on se plie aux règles.
    — Et qui fait les règles ?
    — Ben, l’administration.
    — Je veux dire celles qu’il faut vraiment respecter ?
    L’homme leva sa tondeuse. Il parut hésiter, puis un immense sourire découvrant ses chicots vint illuminer toute sa face.
    — T’es un malin, toi. Tu me plais. Je vais te donner un conseil : Il faut toujours être du côté de l’Orfèvre.
    — L’Orfèvre ? Quel orfèvre ?
    — Tu le sauras bien assez tôt, allez.
    Il y eut un long silence. L’homme passait sa tondeuse et les mèches tombaient. Guillaume aperçut alors sa silhouette dans le miroir que l’homme avait suspendu au-dessus de son établi. Son visage n’était plus le même. Il était cuit et recuit par le soleil, crevassé, couturé. Une face de galérien, à n’en pas douter. Oh ! ma Delphine, pensa-t-il. Si tu me voyais. Montmor avait dit qu’elle était sur le point d’arriver.
    Le barberot avait fini et passait sur son crâne un chiffon humide.
    — Eh, l’ami, demanda Guillaume, peux-tu m’indiquer où se trouve la maison de l’intendant

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