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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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un peuple enfiévré allant, venant et s’affairant, toute une ville murmurante, fourmillante et mouvante. Des bouquetières, des marchandes de beignets, de petits joueurs de vielle, tentaient d’ailleurs d’approcher le carrosse.
    Le cocher fit claquer la langue et le fouet. La voiture grinça de tous ses essieux et bifurqua vers une large artère transversale.
    — Le cours, mesdames, dit M. de Montmor avec le ton qu’il eût employé pour annoncer un spectacle à Versailles.
    Elles se penchèrent et découvrirent une avenue de presque deux cents toises de long et vingt de large, tendue entre la rue d’Aix et la rue de Rome, ouvrant de nouveau une longue perspective d’immeubles aux façades tirées au cordeau, bordée de deux grandes rangées d’arbres, des micocouliers et quelques mûriers dont on tentait l’acclimatation, et avec, en son centre, un terre-plein de fleurs et de fontaines où déambulaient des couples de promeneurs. Des voitures à deux et quatre chevaux, chargées d’armoiries et de laquais accrochés aux portières, tournaient autour comme dans un manège.
    — Le peuple occupe le haut de l’avenue, qu’on appelle le « petit cours », expliqua M. de Montmor, et le monde élégant se donne rendez-vous sur le « grand cours ». C’est là que l’aristocratie et la haute bourgeoisie viennent se montrer et se saluer.
    Des carrosses les croisaient au ralenti. Elles apercevaient à travers les portières des perruques grises ou blanches, des boucles de cheveux, des calvities, des huppes, des frisures. Et tous se penchaient pour deviner qui étaient ces dames inconnues qui avaient les faveurs de M. de Montmor.
    L’intendant général des galères leur expliqua qu’un petit groupe de grandes familles monopolisait les charges consulaires : les Valbelle, les Montolieu, les Cabre, les Albertas, les Foresta, les Lenche, les Glandevés, les de Vento, les Félix, les Riquetti, les Forbin… C’était l’argent, les affaires, le négoce qui avaient permis à la plupart d’accéder à l’état nobiliaire : l’armement maritime pour les Forbin, la pêche au corail sur les côtes d’Afrique du Nord pour les Lenche…
    — Et malgré ces origines douteuses, ricana-t-il, il n’y a pas plus fiers et ombrageux que ces gens-là. À les entendre, ils sont tous écuyers, issus de grandes familles de Gênes ou de Venise. Laissez-les parler deux secondes et ils vous disent que Massalia a traité d’égal à égal avec Rome. Ils se gargarisent encore d’avoir été, comme les villes italiennes, une cité-État indépendante du royaume.
    — Est-ce donc faux ?
    — Certes non, Delphine, mais ce temps est révolu. Si l’aristocratie marseillaise a suscité tant de troubles et d’émeutes, c’est qu’elle utilisait comme masse de manoeuvre les classes populaires de la vieille ville. Pendant des siècles, chacun a nourri sa faction, sa clientèle de « nourris », de familiers et de « gros bras » recrutés parmi le peuple. Mais nous avons cassé tout cela. Regardez-les tourner ! Nous leur avons offert de belles avenues et ils ont mordu à l’hameçon. Ils vivent désormais en vase clos, loin de la plèbe, dans leurs hôtels du cours et de la rue de Noailles.
    — Connaissez-vous Mme Louise Fabre-Boyer ? demanda Mme d’Orbelet. C’est une condisciple de Port-Royal. J’ai fait porter un pli à l’adresse qu’elle avait donnée mais l’hôtel n’est plus à sa famille et…
    — Madame, dit M. de Montmor avec un sourire crispé, les idées de Port-Royal sont ici encore moins en vogue qu’à Versailles et je vous conseille sur ce point la plus grande discrétion. Pour votre amie, les oratoriens de la rue Sainte-Marthe vous renseigneront peut-être. Il se dit à Marseille qu’ils portent en eux la graine janséniste. Mgr de Belsunce, ami des jésuites et farouche pourchasseur des sectes, les traite aussi souvent qu’il peut d’hérétiques et d’ouvriers de Satan.
    Ils longeaient les façades baroques des immeubles. Le soleil glissait entre les branches des arbres et tombait le long des murs, accrochant dans sa chute les balcons à balustrades de fer forgé, les chapiteaux corinthiens, les cariatides, les pilastres doriques. Sur le terre-plein, la grande fontaine de la Méduse jetait les eaux de ses cinquante bouches. Sous des ombrelles blanches, des marchandes, nu-tête, tournaient dans du papier des bouquets de violettes. D’autres vendaient, enfilées au bout

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