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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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système s’est étoffé. L’Orfèvre avance les trois cents livres ou se procure les deux ou trois Turcs que le roi accepte volontiers en échange d’un galérien. Des négociants travaillent à cela pour lui à Gênes, à Malte et à Majorque. Et ceux qui sortent lui rendent la monnaie de sa pièce. Ils travaillent pour lui, selon ses instructions, et contribuent à grossir la cassette qui servira à aider d’autres pauvres bougres.
    Il parlait rond et doux, avec des mouvements de lèvres rapides et saccadés comme s’il triait à toute vitesse chacun des mots qui sortaient de sa bouche.
    — Ton Orfèvre n’est pas que cela, dit Guillaume en se remémorant la scène du massacre des gens de M. de Saintonges et la vision de sa pauvre femme crucifiée. C’est aussi un meurtrier qui s’en va frapper jusqu’aux coins les plus reculés de France.
    — Si tu le dis, l’ami.
    — Et toi ? demanda Guillaume. Que fais-tu encore ici ? L’Orfèvre ne veut pas t’aider ?
    L’aveugle rit de nouveau et ses joues blanches, visqueuses comme des ventres de serpent, se gonflèrent de nouveau.
    — Moi, ce n’est pas pareil : je refuse. Je suis ici depuis trop longtemps. Où irais-je ? Ma vie est aux galères. À vider la pisse des autres et à distribuer les tricots. Je n’ai personne qui m’attend de l’autre côté du mur.
    Guillaume machinalement jeta un regard vers la lettre posée sur ses genoux. L’aveugle le devina.
    — Tu veux la voir ? Tu me promets que tu ne chercheras pas à t’enfuir et que tu reviendras t’enchaîner au lit ?
    Guillaume ne comprenait pas. Voir Delphine ? Comment était-ce possible ? Mathusalem interpréta son silence comme un acquiescement. Il sortit de sa chausse une longue aiguille à demi recourbée.
    — À nous autres aveugles, dit-il en froissant d’un sourire son visage, Dieu, en compensation, nous a fait d’autres dons.
    Et en deux, trois mouvements, il avait fait sauter le cadenas qui retenait Guillaume.
    — Viens, dit-il, suis-moi et ne fais pas de bruit.
    Il l’entraîna dans le couloir. Il marchait d’un pas rapide, la main droite en avant à la rencontre des obstacles et l’autre accrochée au pan de la chemise de Guillaume. L’aiguille crocheta une nouvelle serrure, celle qui fermait la double porte de la pharmacie de l’hôpital. C’était une haute pièce garnie d’armoires où se resserraient les drogues, les fers de chirurgie et les médicaments nécessaires pour les campagnes. Les murs étaient couverts de tablettes et de grands bocaux, de crânes et de squelettes, d’oiseaux et de rongeurs empaillés, de crocodiles secs, de peaux de serpent, de cornes d’animaux.
    — Entends-tu les violons ? demanda l’aveugle. Cette fenêtre. Monte sur le tabouret et regarde. Elle donne sur les salons de l’intendant. Il y a bal, ce soir.
    Une musique assourdie franchissait en effet les barrières des murs. Guillaume s’exécuta. La croisée céda tout de suite, découvrant des jardins, des terrasses. La nuit se perdait dans une ombre violette et chaude. Le ciel entier bruissait dans les frémissements d’un vent un peu lourd qui faisait chanter les feuillages des arbres. Il vit distinctement les appartements éclairés par des lustres surchargés de chandelles, les immenses fenêtres à travers lesquelles on voyait tourner les robes et les beaux habits.
    Et presque aussitôt, comme par enchantement, il l’aperçut. Elle était au bras de Montmor, serrée très près de lui. L’intendant resplendissait de tous ces feux, un sourire magnifique accroché à sa face de fauve et elle, elle s’était abandonnée, la tête presque sur son épaule.

    4.
    Les violons n’allaient plus qu’en sac et en ressac, en de grandes vagues mourantes qui volaient puis s’abattaient sur les ultimes danseurs avec des bruits de mer frottée sur les rochers. La musique, grave et mélancolique, soulevait une dernière fois l’écume des jupons, éclaboussait de gouttes et de buée les sourires des dames fatiguées, reculait peu à peu de salon en salon, donnant à la maison du roi un peu de la lumière grise d’une plage à marée basse.
    Delphine, elle, tournait toujours, emportée par les sons, les couleurs, le vin qu’elle avait bu et par cette audace qui d’un coup l’avait submergée, cette folie d’être aux bras de cet homme, cet abandon qui la saoulait mieux qu’un alcool fort et l’obligeait à renverser la tête dans un mouvement joyeux

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