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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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d’orgueil, toute fouettée de vie aux pommettes, comme fardée de sang.
    Elle tournait avec une lenteur savante, un abandon qui donnait la même impression que si elle s’enfonçait dans l’eau, tenant sa robe que le courant d’air faisait flotter, évanescente et légère comme une blanche méduse.
    Lui, M. de Montmor, intendant général des galères, avait fermé les yeux et ronronnait, se délectant de la douce pression que sa main exerçait sur son bras. Une épée de fête, pendue à une écharpe de soie, battait sa hanche. Son sourire n’était qu’un trait de plume, une corde tendue, forte et vibrante, comme celle d’un arc. De minuscules gouttelettes de sueur allumaient de rosée sa fine moustache.
    Elle, elle tournait. Et plus elle tournait, plus, autour d’elle, les femmes inconsistantes, les seins gonflés sous les buscs à baleines, le rire luisant, les lèvres lourdes de nacre et de vermeil, semblaient si transparentes qu’elles finissaient par disparaître. Et lui, il lui suffisait de fermer les yeux pour que les autres cavaliers, noirs comme des bouts d’allumettes frottées, les joues laquées de sang caillé, flamboient une dernière fois et s’éteignent dans la fumée.
    Bientôt, il n’y eut plus qu’elle et lui, dans le grand salon vide au milieu des laquais qui mouchaient les chandelles, sur le tapis des marches maculées, dans la pénombre de l’étage, sur le pas de la porte de sa chambre.
    — Non ! non ! murmurait-elle, effrayée par sa voix, par sa résistance si faible.
    Mais il avait des yeux de cendres chaudes, des lèvres de charbon, des mains de feu qui consumaient ses forces et les barrières de ses dentelles, qui s’en allaient entre les jupons et le corsage, marquer la chair au fer chaud, des mains incandescentes et démoniaques sous les assauts desquelles le corps fondait et devenait liquide.

CHAPITRE XII
    1.
    Lorsque Guillaume quitta l’infirmerie avec quelques autres, escorté par des pertuisaniers, pour regagner sa place sur La Renommée , il avait fait son deuil de sa situation. La vision de Delphine aux bras de Montmor l’avait sur l’instant assommé, au point que Mathusalem avait dû l’aider à regagner son lit. Mais en se réveillant, il s’était dit : « Guillaume, mon ami, te voilà au fond du trou. Lapardula ne te protège plus. M. de Chabas se moque de toi. M. de Montmor tente de séduire ta femme. L’Orfèvre court toujours. » Et cette sensation, loin de l’abattre, l’avait grisé, comme s’il s’agissait désormais d’un défi à sa mesure. Il s’était décidé à ne pas juger Delphine, à ne pas imaginer le pire. À partir de maintenant, qu’avait-il à perdre ? Quels intérêts devait-il protéger ? Ce qu’il devait faire était simple : sauver sa peau et son honneur. L’horizon s’était dégagé.
    Le décor, ce matin-là, lui parut à la mesure de son âme nouvelle. Marseille flottait dans l’opale et le cristal de Bohême, noyée dans une fragilité de verre, avec des bleus transparents, des jaunes et des oranges lumineux, des rouges de vitraux, comme peinte à la main, éblouissante dans le soleil. Et le port tout entier était au branle-bas de combat : l’ordre était venu d’armer les galères restantes. La guerre de Succession d’Espagne exigeait une entrée en campagne rapide.
    Tout était, sur les quais, confusion et embarras formidables. Une odeur de musc et d’huile, puissante, balayait toute autre senteur, imposait sa tyrannie jusque loin sur la mer. Les corps de métier avaient été mobilisés. Les calfats surtout besognaient sans relâche à l’angle de l’église des Augustins, suspendus aux bordages ou au ras de l’eau sur des radeaux flottants, dans le tonnerre de leurs marteaux, de leurs maillets de bois cerclés de fer. On les voyait torse nu, la face maculée de noir, tourner dans de grands chaudrons des mélanges curieux, de suif, de goudron, de résine. Leur bannière reproduisant le blason de la corporation, portant en chef la Vierge avec sur ses genoux son Fils crucifié et, au-dessous, un bras brandissant la tarière et le ciseau d’argent, claquait au milieu des colonnes de fumée jaune et âcre, au milieu des flammèches qui brasillaient. En bas de la Canebière, des équipes de cordiers étiraient, tordaient, tressaient, avec des manivelles le chanvre avec lequel il faudrait confectionner les dernières cordelettes, les ultimes câbles et filins. Des ferronniers de marine

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