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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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grattaient sur les ancres posées sur le pavé l’acier orangé des rouilles.
    Mais la chiourme était également à la peine. Les semaines précédant les départs étaient, disait-on, plus fatigantes que celles qui allaient suivre, à ramer sur les bancs au rythme imposé par les capitaines. Les bonnets rouges des galériens s’essaimaient un peu partout autour du Lacydon. Au son des sifflets, au rythme des fouets, autour des bittes d’amarrage, certains passaient et repassaient les cordages neufs pour les casser. D’autres avaient été réquisitionnés, dans tous les coins du port, pour aider les ouvriers des « maries-salopes », machines à récurer le lit du port que les déversements de la vieille cité, les terres charriées par les orages, les épaves coulées, le lest, les immondices jetés par-dessus bord avaient peu à peu comblé, menaçant de bloquer les galères. On les apercevait, exténués de fatigue, au milieu des cris et des injures, actionner les machines grinçantes et, à la force du bras, arracher des monceaux de vase noire et malodorante pour les jeter dans des barques attachées à leurs flancs.
    D’autres encore, commandés par des officiers de marine et des maîtres charpentiers, remontaient les mâts, l’arbre de mestre presque au centre du bâtiment et l’arbre de trinquet, juste avant la proue, sur une poutre transversale. D’autres ravaudaient, nettoyaient et pliaient les huit voiles latines : le grand marabout, le marabout, la Mie-Jane, la bouffette, le fréou, le grand et le petit trinquet, le polacron. Déjà on accrochait les flammes à pointes rouges, le pavillon de France, bannière de soie écarlate. On mettait du charbon et du bois à brûler dans le gavon de proue. Enfin, c’était le long embarquement des vivres, la longue litanie des forçats portefaix qui montaient à bord les barriques de vin, les tonneaux de boeuf salé et de lard, le fromage, les caisses de fèves, les biscuits, les quintaux de morue, les barils d’anchois et les sacs de riz.
    Jean Contrucci, le capitaine de La Renommée , veillait comme les autres au bon déroulement de ces opérations. Il accueillit Guillaume avec soulagement, devant déjà déplorer la perte de Lapardula. Il lui manquait encore trois hommes pour compléter ses bancs et il était en grande discussion avec Thomazeau, le secrétaire du bureau de la chiourme.
    Guillaume, alors que le pertuisanier le détachait pour qu’il regagnât son banc, décida de jouer son va-tout. Il s’approcha de Thomazeau et lui glissa :
    — Vous savez qui je suis. M. de Montmor vous l’a dit. J’ai besoin de consulter une dernière fois vos registres. Aidez-moi et vous serez récompensé grassement. Si vous refusez, je serai contraint d’en référer à Sa Majesté elle-même.
    Le jeune procureur avait parlé d’un ton très calme, du ton de celui qui a l’habitude de donner des ordres et d’être obéi sur l’instant, en fixant l’homme dans les yeux. Thomazeau parut surpris par la démarche. Un galérien sans haute protection aurait-il osé lui parler avec un tel aplomb ? Il hésita. Mais il finit par bredouiller :
    — Je dois d’abord en référer à M. de Montmor.

    2.
    Quand Delphine ouvrit les yeux, le jour commençait à poindre. Elle aperçut d’abord la fenêtre ouverte et, dans le ciel, le vol criard des gabians. Les premiers rayons de soleil entraient dans la chambre tendue de cuir doré de Hollande, caressaient le lit houssé de damas rouge, frangé de soie, allumaient les lampas rose et argent des murs, la nacre et l’incarnat des fauteuils, l’écaille blonde des cadres enfermant des paysages éteints et des silhouettes inconnues. Ils zébraient la pièce de longues cicatrices dorées dont elle suivit la trace jusque sur le haut de ses cuisses et le creux de ses reins. Elle réalisa alors qu’elle était nue, à peine couverte aux jambes par des draps blancs froissés. Elle poussa un cri, se retourna. M. l’intendant général des galères était à côté d’elle dans le lit, penché vers elle et il lui souriait.
    — Mon Dieu, qu’ai-je fait !
    — L’amour, dit-il, et de belle façon !
    Elle rougit, saisit le drap, se voila la poitrine.
    Il éclata d’un rire bref, se coucha sur le côté, puisa dans une longue tabatière en argent et prisa, longuement et de chaque narine.
    — Je vous adore, dit-il en revenant vers elle. Je ne peux plus me passer de vous.
    — Monsieur, dit-elle en se couvrant

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