Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
Vom Netzwerk:
de bois qui avançaient sur l’eau, jouant avec le saque qu’ils poseraient tout à l’heure sur leur nuque pour charger les caisses et les balles. Devant eux, un bateau déchargeait de l’alfa arraché sur les plateaux d’Afrique que déjà les auffiers installés derrière les Augustins achetaient en vrac. Un autre débarquait des ballots de textiles ramenés des comptoirs des Échelles : soies de Syrie, d’Anatolie, cotons d’Égypte, d’Alep et de Salonique, étoffes de Smyrne, laines en poil de chameau de Perse, en fil de chèvre d’Angora, peaux de bêtes, cuirs rouges du Maroc. Plus loin encore, sortaient des cales de tartanes des barriques d’huile pour la savonnerie, des caisses de cendres et des tonneaux de soude venus en droite ligne de l’Espagne.
    — Descendez, mesdames, ici vous ne risquez rien.
    Delphine et Mme d’Orbelet soulevèrent le linge qui les cachait et sautèrent de la carriole. Elles étaient au milieu du quai, près de l’hôtel de ville qu’embellissait le buste de Louis XIV et, au-dessus du balcon, le magnifique médaillon de Pierre Puget décoré aux armes de France. Devant elles se dressaient les galères sur lesquelles s’affairaient quantité d’hommes et les baraques tenues par les galériens. Delphine fut tentée, un court instant, de courir vers elles à la recherche de Guillaume. Mais sa mère la saisit par le bras.
    — Dès que Montmor s’apercevra de notre départ, il lancera ses hommes à nos trousses. Il fera garder les portes de la ville. Nous n’avons pas de temps à perdre.
    Mais comment trouver l’église Saint-Martin dans ce lacis de rues qui grimpaient la colline ? Elles décidèrent de se cacher au plus vite de la vue des argousins et des archers qui déambulaient sur le quai et prirent sous la voûte de l’hôtel de ville, par une rue appelée de la Loge, encombrée de marchands « pébriers » qui, installés à même le sol, vendaient des épices orientales, au premier rang desquelles elles reconnurent le poivre et la cannelle.
    Là, contre un mur, sous une niche portant la statue de saint Christophe, attendaient plusieurs porteurs de chaise. L’un d’eux, un petit sec et costaud d’une vingtaine d’années, du nom de Flavius, la peau cuite de soleil, l’anneau d’or à l’oreille, regard de velours et sourire charmeur, baragouinait assez de français pour qu’elles pussent se faire comprendre. Il accepta, en échange d’une des bagues de Mme d’Orbelet, de les mener, avec son compère, jusqu’à l’église Saint-Martin. La chaise tenait par miracle mais elles purent s’asseoir de front et, sans paraître peiner, les deux hommes les soulevèrent et s’enfoncèrent d’un pas rapide dans un enchevêtrement de ruelles si tortueuses et si sombres que, pour capter un peu de la lumière du jour, on avait disposé de grands miroirs inclinés près des fenêtres.
    Flavius leur expliqua que sa confrérie était l’une des plus prospères de la ville parce que le vieux Marseille ne se prêtait pas au passage des carrosses et que, dans ces voies à ruisseau central, à chaussée fendue, le charroi même était impraticable. Les attelages s’arrêtaient aux portes de la ville. Et de là, tout se portait à bras, marchandises et personnes, les unes à la barre et les autres à la chaise.
    Elles ne virent cette fois de Marseille que des murs sales, maculés, attaqués par le salpêtre et l’humidité, sautant devant les fenêtres de leur véhicule, des rues qui divaguaient, zigzaguaient, finissaient en impasses, s’étranglaient au-devant d’immeubles en saillie, tracées au hasard au flanc de la colline, grimpaient en raidillons, dévalaient sur l’abrupt en casse-cou. Elles portaient des noms curieux, rue Torte, rue Campo d’Aragno, rue Roumpo-cuoù. De temps en temps, elles apercevaient de petits cimetières, des fontaines antiques, des figures de saints accrochées à l’angle des maisons.
    L’église Saint-Martin se cachait au milieu de ce labyrinthe de ruelles et de maisons sordides. C’était le centre de la friperie. Tous les marchands de défroques, tous les brocanteurs, tous les chiffonniers de la ville y venaient vendre leurs marchandises qu’ils étalaient jusque sur le parvis de l’église. De petites boutiques basses, aux murs encrassés, exposaient aux passants des habits limés, pisseux, des chapeaux roussis, des pantalons fanés, des gilets maculés de graisse, des robes déteintes, du linge douteux.
    Elles

Weitere Kostenlose Bücher