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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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journée, tout le monde sait qu’elle vend des légumes. Ce qu’elle fait la nuit, cela la regarde. Allez, habille-toi et viens !
    Elles marchaient en avant, penchées sur leur ombre, cinglées par les rafales. Le mistral en colère faisait chanter, sur le port, les gréements et les cordes. Delphine dut tenir les bords de sa coiffe à deux mains pour qu’elle ne fût pas enlevée tandis que ses jupes flottaient avec des claquements de drapeau. Sous les poussées du vent, les ordures grossies des saletés de la nuit cascadaient de marche en marche emportées par un ruisseau sale et nauséabond. Des escoubelliers , balai en main, mettaient en petits tas les « matières utiles » que déjà des paysans chargeaient sur leurs mulets pour les revendre au terroir marseillais.
    Honorade habitait, avec ses quatre enfants, au-dessus de la petite librairie, au début de la rue Mayousse, dans une pièce à peine plus grande que celle de Sophie, avec toutefois une petite terrasse, encombrée de paniers et de linge, ouvrant sur le quai, sur le port, presque en face de l’abbaye Saint-Victor. Des barques colorées dansaient sur les pontons et de grands filets séchaient sur les plans inclinés.
    — C’est pas beau, chez nous ? Le vieux Nathan, le libraire, nous loue tout ça pour une bouchée de pain et en contrepartie je lui fais à manger. C’est lui qui nous a appris, à Sophie et moi, à parler le franciot.
    En lui servant la soupe, elle lui vanta le quartier Saint-Jean. Là vivait, accroché aux pentes où était née la ville grecque, protégé par saint Laurent, dont l’église au sommet de la butte profilait la tour de guet de son clocher, le peuple des pêcheurs, quintessence du peuple de Marseille. Retranchés sur leur butte, fiers de leurs traditions, de leurs statuts, de leurs croyances et de leurs privilèges, ils menaient leur vie en marge de la ville, enfermés dans une indépendance que consolidaient chaque jour les liens des travaux, des périls partagés, des services rendus, des parentés et des voisinages.
    — Sois tranquille, petite. Ici, personne ne viendra te chercher.
    Delphine sourit tristement. Tout en écoutant Honorade, elle réfléchissait. Maintenant qu’allait-elle faire ? Guillaume était enfermé aux galères, à perpétuité, sans plus aucun appui extérieur, et elle n’avait plus de nouvelles de lui depuis plusieurs jours. Il n’avait plus qu’elle. Il aurait fallu alerter ses amis, ses appuis à Versailles, ses relations chez les jésuites, mais elle était là, honteuse de ce qu’elle avait fait, prisonnière de l’Orfèvre, condamnée à se terrer pour échapper à M. de Montmor, crucifiée par sa faute envers Guillaume. Le sel l’avait recouverte. Elle était comme Mme de Saintonges, emportée et étouffée par la tempête de sel. Quelles perspectives s’offraient à elle ? Elle n’en voyait a priori que deux, l’une et l’autre terribles : se livrer à l’Orfèvre, devenir, comme Sophie, une de ses créatures – et Dieu seul savait ce qu’il entendait faire d’elle ! –, ou alors renoncer et céder à l’intendant général. L’Orfèvre, puisque c’était ainsi qu’il se faisait appeler, valait-il mieux que M. de Montmor ? « La meilleure solution, pensa-t-elle, serait de retrouver Guillaume. Ensemble nous serons plus forts et nous trouverons bien une issue. » À supposer qu’il ne fût pas trop tard et que Guillaume fût toujours vivant.

    3.
    Ce fut la sensation de froid qui le réveilla, puis les douleurs à la hanche, au torse, à l’arcade de l’oeil droit. Guillaume se redressa à demi sur le lit. Où était-il ? Rien ne tanguait, il était donc à terre. Une lanterne éclairait une petite pièce aux murs en grosses pierres apparentes, au plafond bas, voûté, soutenu par des poutres, avec une seule fenêtre, étroite, très haute, barrée par une croisée de fer. Ce devait être une cave ou quelque chose d’approchant, près de l’eau à en croire l’humidité qui suintait un peu partout et les planches de bois, posées contre l’une des parois, marbrées de vert par la mousse. Une table à sa droite était encombrée de ciseaux, de lanières de toile blanche, de flacons bleus portant des étiquettes. C’était ici qu’on l’avait soigné. Une ouverture, en face de lui, semblait ouvrir vers d’autres salles identiques.
    Guillaume se souvint de l’épisode de la frégate, de la pluie d’échardes, de Lassère et de Chibouk

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