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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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le vieux à l’accordéon, dans l’obscurité de la rue. J’étais penchée à la fenêtre et je les ai entendus. Je n’ai pas vu l’Orfèvre mais je sais un détail sur lui qui me fera le reconnaître sûrement, s’il se trouvait en face de moi.
    — Un détail ?
    — Oui. Il a une jambe de bois. À l’aller comme au retour, j’ai nettement entendu son toc-toc sur le pavé.

CHAPITRE XIV
    1.
    — Il est mort ?
    — Oui, monsieur. Ainsi que douze autres forçats de La Renommée . Ils ont subi le feu d’une frégate anglaise au large de Port-Vendres, qui a réussi à fuir. La galère est revenue au port pour être réparée. Il y a de nombreux blessés.
    — Mais pour ce « Guillaume Lautaret », vous êtes sûr ?
    — Oui, monsieur. Les témoignages concordent et le corps nous a été montré, déchiqueté par les éclats de bois.
    M. de Montmor, nerveux, se mordillait la lèvre inférieure en faisant les cent pas sur la terrasse de la maison du roi. Le mistral s’était levé et lustrait la ville blanche, à peine ombrée de bruns chauds, de beiges, de sépias, de gris terreux. Là-bas, du côté de la barrière des forts, on voyait, par-dessus les rochers, les vagues sifflantes jaillir en de longues colonnes blanches et fumantes. Les goélands jouaient avec les courants du ciel, tombaient des nuages et y remontaient avec lenteur.
    — Mais s’il était déchiqueté, comment pouvez-vous être certain que c’était lui ?
    — Parce que, dit Thomazeau, il y a des détails qui ne trompent pas. Le cadavre que l’on m’a montré portait d’étranges plaies, comme s’il avait été percé à coups de lance. C’est là le travail des hommes de l’Orfèvre.
    M. de Montmor lissa sa moustache entre le pouce et l’index. Ses yeux brillaient d’une fièvre mal contenue.
    — Je veux que vous retrouviez Delphine. Coûte que coûte, quitte à fouiller chacune des maisons de cette maudite ville. Je veux que vous me la rameniez. Je veux lui annoncer moi-même la mort de son Guillaume.

    2.
    Le sel se levait, tourbillonnait en grandes colonnes blanches, valsait autour d’elle et la couvrait. Elle était nue, crucifiée. Des anges destructeurs à tête de gabian voltigeaient au-dessus de sa tête, plongeaient vers elle pour lui crever les yeux. Autour d’elle s’étendait un paysage de désolation, des lits de rivières asséchées, des rochers durs, des dunes battues par de grandes lames de sel, des vagues blanches qui dansaient, flottaient comme du linge sous la lune. Au loin, les éclairs d’un orage sec déchiraient l’horizon. M. de Montmor était au pied de la croix et il tenait un fouet dont la lanière semblait tressée de sel. Il la cinglait à tour de bras et chaque coup porté lui brûlait profondément la chair. Mais, chaque fois qu’elle hurlait, chaque fois que sa peau recevait la mèche du fouet, une chaleur vive l’envahissait, elle se sentait renaître. Le sel qui entrait par sa bouche semblait la laver, la régénérer.
    — Guillaume ! hurla Delphine, et elle se réveilla.
    Sophie n’était plus là. Où avait-elle pu partir si tôt ? « Mon Dieu ! pensa-t-elle, si elle était allée me dénoncer à l’intendant ? » Elle s’habilla en toute hâte et voulut sortir : la porte était fermée à clef. Elle était prisonnière. Elle cherchait un couteau, un outil, quelque chose qui lui aurait permis de tenter de faire sauter la serrure quand quelqu’un tapa à la porte.
    — Je peux entrer ? cria une voix de femme forte et chaude.
    Une clef joua dans le silence. C’était une voisine, une certaine Honorade, la quarantaine bien sonnée, une face de truie, petits yeux, nez rond avancé, de grosses joues bien roses et un ventre qui la faisait aussi large que haute. Mais avec ça un sourire magnifique.
    — Sophie avait raison : quelle beauté ! Elle est partie travailler, comme chaque matin, au marché du Petit-Mazeau. Et vu que je parle le franciot, elle m’a demandé de veiller sur toi !
    — Je suis prisonnière ?
    Honorade fit une moue comique en haussant les épaules.
    — On a eu des consignes. Pour ta sécurité. Mais si tu me promets de ne pas chercher à t’enfuir, on peut peut-être s’arranger. Ça te dirait un peu de soupe toute chaude ? J’habite en bas de la rue.
    — Sophie est au marché ?
    Honorade partit dans un petit rire qui fit tressauter toute sa graisse.
    — C’est une petite courageuse. Je l’aime comme ma fille. La

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