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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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jeune fille se servit de la lanterne pour allumer un brasero et un reste de chandelle, puis elle s’assit sur le lit pour mieux observer Delphine. Elle avait des yeux très noirs, des traits fins, avec des lèvres et un nez à peine dessinés, comme des entailles faites à la pointe du couteau sur la tête ronde d’une poupée de bois. Des oreilles petites secouaient sur ses joues des grappes pleines de perles.
    — Je dormirai par terre, dit-elle et je te laisserai le lit.
    — Non, non, dit Delphine, il n’y a pas de raison.
    — Tu as peur de t’allonger sur la couche d’une putain ? Tu sais, je n’y dors jamais que toute seule.
    Elle ne paraissait pas vexée, amusée plutôt, avec ses grands yeux qui luisaient dans la demi-obscurité de la pièce. Devant la mine de Delphine, elle éclata de rire.
    — Tu ne vas pas rester comme ça. Mets-toi donc à l’aise.
    Elle-même se leva dans un brusque bruissement de robe, se déshabilla brutalement, arrachant le lacet mince de son corsage qui siffla autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse. Une croix dorée en sautoir remuait sur sa gorge quand elle se penchait en avant. Elle enfila une robe de chambre.
    — Tu as froid ? Fais donc comme moi.
    Elle posa le brasero par terre, se planta au-dessus, faisant bouffer ses jupons et laissant monter la chaleur le long de ses jambes. Elle s’écarta pour laisser la place à Delphine. La jeune femme ne pouvait faire autrement qu’accepter. Elle prit la même position et sa robe à son tour se gonfla. La sensation la fit rire. Cela mit en joie Sophie qui applaudit des deux mains.
    — Ce soir, grâce à toi, je ne vais pas travailler. On va fêter ça.
    Elle fouilla sous son lit et sortit une bouteille de vin à demi entamée. Puis elle alla chercher deux verres dans un petit coffre en rotin, les remplit, en tendit un à Delphine.
    — Merci. Ça fait du bien.
    — Cela fait trois ans que je me vends, lâcha la jeune fille d’un coup, comme si la phrase attendait depuis un moment au bord de ses lèvres et avait profité de cet instant de complicité pour s’échapper.
    À quel âge avait-elle donc commencé ? Elle paraissait si jeune, à peine formée.
    — Je ne te juge pas, répondit Delphine en reprenant les mots de sa mère.
    Comment aurait-elle pu penser autrement, après s’être laissé séduire par l’intendant général ? Elle rougit jusqu’aux oreilles.
    — C’est comme ça, ajouta Sophie. On s’y fait. Mme Louise n’est pas la pire.
    — Est-ce qu’elle-même… ?
    — Non. Elle nous surveille. Elle s’occupe des recettes pour l’Orfèvre.
    Delphine répéta le nom dans sa tête : « l’Orfèvre ». C’était celui déjà prononcé par Mme Fabre-Boyer, celui du galérien à qui appartenait l’établissement des Trois Malouins.
    — Comment un forçat peut-il être propriétaire et faire travailler des filles ?
    Sophie mouilla ses lèvres avec une petite moue. Elle s’assit sur la chaise, posa ses pieds nus sur le rebord de la fenêtre tout près du brasero, et massa doucement ses maigres jambes blanches.
    — Ce n’est pas n’importe quel forçat. C’est un malin. Dans un premier temps, à ce qu’il paraît, il aidait les galériens à rencontrer leurs femmes en secret, leurs régulières, dans des chambres ou des caves qu’il louait en ville. Puis il a discuté, pour les autres, avec les souteneurs du port afin de leur procurer des filles. Et, peu à peu, il s’est introduit dans le milieu et a fait travailler ses propres putains. Il a supplanté un à un les maquereaux du quartier réservé. Plus de la moitié des filles travaillent désormais pour lui.
    Delphine, réchauffée, vint s’asseoir à son tour sur le lit. Cet « Orfèvre » ne pouvait être que l’homme que Guillaume recherchait.
    — Tu le connais ? demanda-t-elle d’un ton détaché.
    — Pourquoi est-ce que ça t’intéresse ?
    C’était dit sans agressivité, par simple curiosité. Delphine ne répondit pas tout de suite. Un chien aboyait dans une cour et elle attendit qu’il se tût tout à fait.
    — Mon mari est aux galères. Peut-être que cet homme pourrait m’aider à le revoir. Sais-tu qui il est ?
    La mèche de la chandelle filait. Sophie se leva pour la moucher entre ses doigts mouillés. Il n’y avait plus désormais, dans la pièce, que la lumière étouffée du brasero.
    — Il est venu aux Trois Malouins une fois. De nuit. Il s’est entretenu avec Joseph,

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