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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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dominant l’éperon, seul endroit où l’on disposait de la place nécessaire pour le recul lors du tir et quelques pierriers, alignés de chaque côté, le long de la bande – mais elle pouvait causer suffisamment de dégâts pour ralentir la course de l’Anglais et l’obliger au combat de près. Contrucci, l’oeil brillant, un sourire immense accroché à sa face, criait ses ordres relayés par les gardes-chiourme.
    Mais, au dernier moment, le capitaine de la frégate esquiva l’avant de la galère d’un coup de gouvernail. La Renommée se trouva tout à coup allongée le long de son bord. Les vingt-quatre canons de l’Anglais chargés jusqu’à la gueule crachèrent alors leur mitraille à bout portant.
    Le feu balaya le tillac, dans un tonnerre épouvantable, faisant voler le bois en éclats, fauchant les soldats agrippés sur le couroir. Guillaume eut le réflexe de se coucher dessous le banc pour éviter la pluie d’échardes. Mais il reçut comme des coups de couteau au front, aux joues, à l’épaule gauche et dans l’estomac. Quand il releva la tête, ce fut pour apercevoir des hommes tituber, aveuglés par le sang.
    — Le moment est venu, dit une voix sur sa gauche.
    Chibouk et Lassère se tenaient debout au-dessus de lui. Le Turc brandissait un pieu taillé en pointe.
    — Adieu, l’ami, dit encore l’Auvergnat.
    Ce furent les dernières paroles que Guillaume entendit avant de perdre connaissance.

    4.
    Le soir commençait à tomber et le quartier s’était soudain animé. Au sortir de l’établissement, Delphine et Sophie durent enjamber des hommes ivres de vin, couchés à même le sol, indifférents aux chiens, aux passants, à l’ordure. Elles durent repousser une bande de buveurs aux yeux allumés, à l’éloquence épaisse qui les apostrophaient en provençal au sortir d’une taverne. Sophie les insulta avec tant de conviction et d’efficacité qu’ils firent machine arrière.
    — Il faut marcher crânement, lui dit-elle en la prenant dessous le bras, et ils te laisseront tranquille.
    Dans les entrelacs des rues du port où des lanternes suspendues au mur taillaient des ronds de lumière, c’étaient maintenant des conciliabules sur le pas des portes, le va-et-vient de soldats tête nue, de groupes de matelots palabrant sous les voûtes et de marchandages sans fin à l’entrée des maisons des femmes d’où montaient le fifre et le tambourin. De loin en loin des ruelles couvertes, toutes en tunnel et en escaliers, descendaient à travers les remparts et les ateliers jusqu’aux eaux du Lacydon dont on voyait luire en bas les écailles jaunes. Plus loin, elles croisèrent une procession de pénitents en cagoules, éclairés par des falots à vitres de corne, qui marmonnaient des psaumes et se signèrent en les apercevant.
    Sophie habitait en haut de la rue Mayousse, dans le quartier Saint-Jean, le quartier des pêcheurs. C’était une venelle étroite et escarpée qui sentait le poisson, l’ail, l’écorce de melon, tombant en pente rapide jusqu’au quai du port où elle débouchait par un petit escalier.
    Des gens prenaient encore le frais sur le seuil des portes. Du linge blanc séchait pendu à des fils tendus entre les maisons et des femmes se souhaitaient le bonsoir par les fenêtres ouvertes. Dans le demi-jour fauve, des vieilles accroupies, jaunes comme la cire, la figure battue de leurs longs cheveux blancs, assises sur des marches, ravaudaient des filets, indifférentes aux avancées de l’ombre. Des lavandières, la tête droite et les reins cambrés sous leur chargement de lessive, remontaient des lavoirs en riant, jambes et tête nue, et se poussaient du bras en les croisant.
    — C’est là, dit Sophie en poussant une planche de bois d’un bleu clair émaillé qui barrait une entrée.
    Elles grimpèrent un escalier tordu aux marches branlantes. Le mur portait des inscriptions et des dessins obscènes, des trous profonds bouchés par des chiffons. Delphine n’osait respirer tant l’odeur d’urine et de moisi la prenait à la gorge. Haletantes, elles s’arrêtèrent au troisième étage.
    — Bien sûr, ce n’est pas la maison du roi, dit Sophie avec un sourire en soulevant sa robe pour prendre la clé dans la poche de son jupon.
    La chambre n’était pas cossue, mais propre, avec des murs repeints à la chaux, un lit de paille, une petite table et une chaise, une bassine pour faire sa toilette séparée du reste par un rideau en serge gris. La

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