Les grandes dames de la Renaissance
testament de M me de Bourbon est inacceptable, car il lègue au connétable des biens et des provinces qui doivent revenir à la couronne de France.
Et, comme François I er ne semblait pas être au courant, elle ajouta :
— Par une clause signée en 1400 par Charles VI et renouvelée par Louis XI dans le contrat de mariage d’Anne de France et de Pierre de Beaujeu, seigneur de Bourbon, tous les biens des Bourbons doivent revenir à la couronne en cas de mort sans héritier mâle. Or Suzanne n’a pas eu d’enfant du tout…
L’affaire semblait donc simple et les prétentions de Louise de Savoie parfaitement justifiées. François I er remercia sa mère de l’avoir instruit de ces détails et lui promit de faire mettre sous séquestre immédiatement tous les biens du connétable.
— Après quoi, nous engagerons le procès, dit-il.
C’est tout ce que désirait M me d’Angoulême. Ravie, elle se retira « dans ses appartements, où un garde du palais, qui remplaçait depuis peu – et très avantageusement – le connétable de Bourbon, ne tarda pas à venir la rejoindre ».
Le roi, fort de son droit, donna, sans attendre, l’ordre de se saisir des châteaux appartenant à Charles de Bourbon et s’en fut retrouver M me de Châteaubriant, en pensant qu’il était bien facile parfois d’arrondir le domaine national.
Le pauvre ignorait que sa mère ne lui avait dit qu’une part de la vérité ; car, si la clause dont s’était servie Louise pour engager le procès existait bien dans une ordonnance de Charles VI, elle avait été, depuis, annulée par Charles VIII et par Louis XII. Par conséquent, le testament de Suzanne de Bourbon était parfaitement valable.
La mise sous séquestre des biens du connétable de France causa une immense émotion. Une fois de plus, Louise de Savoie fut accusée par les cours d’Europe de se venger bassement du refus que lui avait opposé son amant.
— Ceci n’est poinct digne de la mère d’un roi de France, disait-on.
À la Cour, on ne jasa pas tout de suite. Il faut dire qu’on y était pour lors fort occupé à commenter une aventure assez curieuse arrivée à M me de Croissy-Valin au cours d’un déplacement du roi.
Cette dame, qui appartenait à la suite de la reine, était d’un naturel peu farouche qui l’avait placée déjà maintes fois dans des situations assez scabreuses.
Mais ce qui lui était arrivé sur le bord de la route de Fontainebleau dépassait de loin tout ce qu’elle avait pu connaître.
La Cour s’était arrêtée dans la forêt pour y déjeuner sur l’herbe, autour de François I er qui aimait beaucoup ces repas champêtres, préludes de parties galantes dont les hautes fougères étaient le théâtre…
On avait extrait des chariots nappes brodées, vaisselles d’or, aiguières pleines de vin de Touraine, poulets froids, rôtis, tartes, raisins de Moret, et tout le monde s’était mis à table auprès du jeune souverain et de M me de Châteaubriant. (La reine, enceinte comme toujours, était restée au château.)
François I er donnant l’exemple, tous les jeunes seigneurs et toutes les jolies dames de la Cour se tenaient on ne peut plus mal…
Couchés dans l’herbe, ils se faisaient des caresses que l’on tolère d’habitude seulement entre les repas.
Et encore, pas tous les jours…
Au bout d’un moment, ces petits jeux agacèrent l’assemblée et, sans attendre le dessert, quelques couples se dispersèrent sous les arbres avec un air hagard qui en disait long sur leurs secrètes intentions.
C’est à ce moment que M me de Croissy-Valin, dont la robe et le corsage étaient fort fripés, fut entraînée par un ami du roi, le comte de Dormelles, vers un épais taillis. Hélas ! les deux amants s’aperçurent avec regret que l’endroit qu’ils avaient choisi pour se prouver mutuellement leurs bons sentiments n’était plus libre. D’autres convives les y avaient précédés. Ils marchèrent alors vers un arbuste dont les branches recourbées formaient comme une chambre de feuillage. Mais ils durent s’en éloigner pudiquement, car un couple qui paraissait « animé par des sentiments plus vifs que ceux de l’estime » l’occupait déjà.
Finalement, M me de Croissy-Valin et son soupirant, ayant cherché, en vain, un endroit capable d’abriter pendant quelques instants « leurs natures enflammées », revinrent vers la route où se trouvaient arrêtés les
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