Les grandes dames de la Renaissance
de leur tristesse.
Elle y avait grand mérite, car son cœur à elle aussi était dolent. Seule, dans un lugubre château de Madrid, elle se répétait les galantes paroles de François, ses serments et ses jolis compliments.
Un soir, il lui avait dit :
— Dès que je serai libre, je vous épouserai, car vous êtes plus belle qu’un ibis.
Elle n’avait jamais vu d’ibis, mais s’était sentie flattée. Et puis il lui avait promis des lettres en vers, un rondeau sur ses mains et une chanson sur ses yeux ; or il y avait trente-six mois qu’il était rentré en France et elle attendait encore un mot de lui…
Son désespoir était d’autant plus grand qu’elle n’ignorait pas que le roi l’oubliait à longueur de nuits avec l’ardente Anne de Pisseleu. Les nouvelles de ce genre ont toujours circulé très vite, et la pauvre Éléonore connaissait par le détail toutes les mauvaises raisons qui empêchaient son « fiancé » de penser à elle…
Au début de l’été 1529, Louise de Savoie ayant signé avec Marguerite d’Autriche, à Cambrai – et non sans mal [94] – la fameuse Paix des Dames, on reparla du mariage de François I er et d’Éléonore. Celle-ci fut folle de joie.
— Vous voyez bien qu’il m’aime, disait-elle à ses dames de compagnie.
La pauvre ne se doutait pas des raisons qui poussaient le roi de France à s’intéresser de nouveau à elle. L’amour ne jouait aucun rôle dans ce revirement ; l’attitude du roi n’était, en effet, dictée que par un sordide intérêt.
Il avait été décidé à Cambrai que les deux petits princes seraient rachetés moyennant une rançon de deux millions d’écus d’or, et François I er , sachant que le Trésor était à sec, s’était demandé avec angoisse où il pourrait bien trouver une somme aussi considérable.
C’est alors que Louise de Savoie lui avait rappelé qu’il était fiancé à la sœur de Charles Quint et que celle-ci apportait en mariage une dot fort importante. Pour faire sortir de prison les deux petits princes, sans avoir à verser de rançon, il suffisait donc d’épouser Éléonore. François I er , poète mais réaliste, s’y était résigné.
— La douce Éléonore sera mon épouse ! avait-il dit bien haut.
Mais, comme il avait cru bon d’accompagner cette phrase d’un clin d’œil à l’adresse d’Anne de Pisseleu, les familiers de la Cour s’étaient permis d’avoir quelques doutes sur la profondeur de ses sentiments…
L’annonce de la prochaine union de François et d’Éléonore déplut beaucoup à Henry VIII, qui avait offert en mariage au roi de France la princesse royale d’Angleterre, alors âgée de douze ans [95] . Mais, comme il était alors en conflit avec le pape à cause d’une femme, et qu’il avait besoin de l’appui de François I er , il ne laissa pas apparaître sa colère.
Cette femme, grâce à qui la France et l’Angleterre allaient se trouver liées pendant quelque temps, s’appelait Anne Boleyn. Bien qu’Anglaise, elle avait été au service de la reine Claude, et François I er s’était permis, disent certains auteurs, « de lui faire une petite politesse à l’endroit de son honneur… [96] »
En 1525, après Pavie, elle avait retraversé la Manche pour aller promener ses charmes à la Cour d’Angleterre [97] .
Henry VIII, grand amateur de jolies filles, n’était pas resté indifférent à tant de « promesses rebondies » et avait essayé de suivre la voie où son ami François I er s’était engagé en hardi pionnier. Mais les choses n’avaient point réussi comme il l’espérait. Anne Boleyn s’était montrée moins facile qu’il eût pu le croire.
Priée de se rendre dans la chambre du roi, elle avait refusé poliment.
Henry VIII était naïf. Il avait pensé que la demoiselle était pure, et il avait conçu pour elle un amour de collégien. En réalité, Anne Boleyn était rouée et ambitieuse. Le côté furtif de l’affaire qu’on lui proposait lui avait déplu ; elle voulait bien dormir dans la couche du roi d’Angleterre, mais avec la bénédiction de l’archevêque de Canterbury.
Alors, devant la résistance hautaine de l’ancienne demoiselle d’honneur de la reine Claude, Henry VIII avait envisagé d’en faire sa femme légitime, après avoir répudié la reine Catherine, son épouse.
Toutefois, en homme pratique et prudent, il n’avait pas voulu engager une procédure difficile avec le Vatican,
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