Les grandes dames de la Renaissance
vit partir le cœur gros, sachant par expérience que de telles aventures n’arrivent pas deux fois dans la vie d’un gardien de prison.
Quant à Enguerrand, qui ne pouvait décemment reprocher à sa femme de s’être un peu déshonorée en voulant lui rendre son honneur, il ferma les yeux et, nous dit un chroniqueur, « oublia bien vitement de sa mémoire le temps où la belle Loyse, par amour, le faisoit loger en l’hôtel du Croissant [143] ».
Au début de 1545, toute la Cour se passionna pour une étrange affaire.
François I er , qui faisait alors, sous l’influence italienne, rebâtir et décorer de nombreux châteaux, s’était entouré de grands artistes venus de la Péninsule sur sa demande. À Léonard de Vinci, ramené après Marignan, et qui était mort en 1519, avaient succédé Andréa del Sarto, le Primatice, Rosso, et bien d’autres, qui travaillaient en France pour la plus grande gloire du souverain.
« Le roi, disait un ambassadeur italien, dépensait énormément, d’un bout de l’année à l’autre, en joyaux, en meubles, en constructions de châteaux et de jardins. Il était d’une telle nature que, à qui lui apportait une pierre trouvée sous terre ou quelque autre chose, il donnait de l’argent. »
Or l’un de ces artistes italiens déplaisait à M me d’Étampes qui ne savait que faire pour le tracasser. La favorite ne se contentait pas, en effet, de rompre des lances avec Diane de Poitiers, elle s’acharnait contre tous ceux qui n’acceptaient pas de la considérer comme la maîtresse absolue du royaume. Et Benvenuto Cellini était de ceux-là.
C’était leur duel quotidien qui passionnait la Cour.
Les choses avaient commencé de façon stupide. Le sculpteur, ayant reçu une commande de statues pour le château de Fontainebleau, était venu présenter un projet au roi, mais avait omis d’aller le montrer à la favorite. Furieuse, M me d’Étampes s’était vengée en priant François I er de charger le Primatice du travail commandé à Benvenuto ; injustice que le faible souverain avait accepté de commettre…
Finalement, après bien des intrigues, Cellini était tout de même parvenu à faire placer dans une galerie de Fontainebleau un magnifique Jupiter qu’il venait de terminer…
La favorite avait failli en piquer une crise de nerfs.
« M me d’Étampes, ayant appris où en étaient mes affaires, dit Benvenuto Cellini dans ses Mémoires, en fut plus irritée que jamais contre moi. “Comment, se disait-elle, je gouverne le monde et ce chétif personnage ne fait pas le moindre cas de moi.” »
Elle s’était alors efforcée de lui causer mille ennuis, essayant même de le faire tuer par des hommes de main. Benvenuto, heureusement, était sorti sain et sauf de l’embuscade.
Néanmoins, excédé – et on le comprend – il avait décidé de quitter la France après avoir fait subir à M me d’Étampes l’affront qu’elle méritait. Le scandale se produisit le jour de l’inauguration, par le roi, de la galerie où se trouvait le fameux Jupiter.
François I er et toute la Cour entouraient la statue et ne tarissaient pas d’éloges.
Soudain quelqu’un demanda :
— Que veut dire cette chemise dont Benvenuto a vêtu sa statue ?
M me d’Étampes répondit d’un ton aigre :
— C’est apparemment pour couvrir quelques fautes !
Benvenuto n’attendait que ce moment.
— Je ne suis pas homme à cacher mes fautes, dit-il. C’est pour l’honnêteté que j’ai mis ce voile ; mais, puisque vous ne le voulez point, ne l’ayez donc point !…
D’un geste rapide, il arracha la chemise et découvrit, à deux doigts du visage de la favorite, le sexe énorme, gigantesque, phénoménal de sa statue.
— Lui trouvez-vous assez de ce qu’il faut ? s’écria-t-il [144] .
M me d’Étampes, horrifiée, recula, tandis que toute la Cour ricanait. Quant au roi, il eut grand mal à s’empêcher de rire. Alors, la favorite, qui murmurait des injures, le prit par le bras et l’entraîna vers la porte.
Avant de sortir, François I er , que cette farce vengeait de bien des ennuis, s’écria :
— J’ai enlevé à l’Italie l’artiste le plus grand et le plus universel qui ait jamais existé…
Tout le monde applaudit, et M me d’Étampes rentra dans ses appartements, folle de rage. Le soir, elle alla trouver le roi et lui demanda que Benvenuto fût pendu.
— Je suis d’accord, dit François I er ,
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