Les guerriers fauves
réserve.
— Mais...
— C’était ma chambre. Vous pouvez mettre votre coffre là, au-dessous. C’est pour ça que j’ai choisi un branle. Placé en long et bien tendu, on n’y sent pas le roulis. Vous vous y ferez, vous verrez, on y dort bien.
— Votre cabine ! Mais je ne voulais pas vous déloger, pourquoi...
Giovanni eut un haussement d’épaules.
— Quel moyen de faire autrement ? Il était impossible, vous l’imaginez bien, de vous mettre dans le dortoir des hommes ou sous la tente extérieure avec l’équipage. Il y a rarement des femmes sur les bateaux de commerce par ici.
— Je comprends.
Les traits du Lombard s’étaient durcis.
— Il faudra plus que ça, damoiselle, je ne veux pas de mutinerie à bord ni de bagarres. Il y va de votre honneur, mais aussi de votre vie. N’oubliez jamais que pour les marins, toute occasion est bonne à prendre... Ne vous trouvez pas isolée, gardez votre capuche, ne jouez pas avec votre chevelure et évitez de les regarder en face. Ils prendraient cela pour de la provocation. Et, au bout de quelques jours de mer, croyez-moi, le besoin des femmes se fait sentir, d’autant que d’après ce que je sais, nous ferons le moins d’escales possible, en tout cas pas dans des ports.
Eleonor rougit et baissa la tête. Le Lombard lui tendit une petite clef de fer.
— Ceci pour la cabine, et n’oubliez jamais de fermer votre coffre.
— Bien.
— Gardez-la toujours dans votre aumônière. Quant à votre chien, qu’il reste avec vous, je ne veux pas qu’il effraie mes hommes. Qu’il dorme ici, cela vous rassurera et vous évitera peut-être quelques visites nocturnes. Et la nuit, n’oubliez pas de mettre ça en travers du vantail.
Giovanni lui désigna une grossière barre de bois qui permettait de fermer la porte de l’intérieur.
— Je vous remercie.
Le Lombard s’inclina et fit demi-tour. La jeune femme ressortit, s’écartant pour laisser passer Gautier qui poussa ses bagages sous le branle.
— C’est pas bien grand, remarqua-t-il. Si vous n’avez plus besoin de moi, j’vous laisse, maîtresse. J’vas voir où dormir et ranger mes affaires.
Eleonor regagna son réduit, l’inspectant avec soin avant de s’asseoir sur son coffre. Une angoisse diffuse lui serrait la gorge. L’excitation de la veille s’était envolée. Était-ce le fait de se retrouver seule femme à bord ? Ou bien l’imminence du départ et l’éloignement des siens ? Tout lui semblait étrange et elle se sentait si gauche ! Elle songea à son père, là-bas, à Fierville. Ne sachant que faire d’une fille aînée alors que l’occasion d’un remariage prestigieux s’annonçait, il s’était débarrassé d’elle.
Elle se moqua d’elle-même. Son père l’avait aimée et maintenant que sa mère était morte, il regardait vers un avenir où elle n’avait plus sa place. Mais ne fallait-il pas un jour quitter l’enfance ? Tourner le dos aux siens sans regarder derrière soi ?
Non, ce n’était pas cela qui la dérangeait, mais sa propre naïveté et ses peurs. Elle qui se croyait capable de toutes les audaces, elle découvrait qu’être sur ce bateau, c’était déjà être en terre étrangère. Les paroles du Lombard, même s’il s’avérait un hôte prévenant, l’avaient inquiétée. Elle s’efforça de voir le bon côté des choses : la literie propre, sa petite cabine. Au moment où elle allait repousser sa porte, celle-ci s’entrebâilla : c’était Tara qui l’avait poussée de son museau. L’animal la contempla de ses yeux vairons puis alla s’allonger de tout son long sur une natte entre la malle et le mur, poussant un profond soupir d’aise.
— Eh bien, tu as trouvé ta place, on dirait ! murmura Eleonor en fermant à clef et en ouvrant sa malle.
Elle eut tôt fait d’enfiler ses braies, une chainse d’homme, un gilet de fourrure puis des bottes de cuir souple. Elle se sentait mieux. Giovanni avait raison.
— Me voilà transformée en cavalier, fit-elle, prise d’un soudain élan de bonne humeur. Comment me trouves-tu, Tara ?
Le chien poussa un bref grognement.
— Quel enthousiasme ! Tu me préférais en damoiselle, c’est cela ? Tu es bien un mâle !
Elle glissa son poignard à sa ceinture, se revêtit de son manteau, puis ajouta :
— Allez, viens, il n’est pas l’heure de dormir ! Allons voir où est ce pauvre Gautier.
Amusée, elle ajouta :
— Voilà que je te parle
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