Les guerriers fauves
passer Knut qui allait rejoindre Harald à l’arrière, près du gouvernail latéral.
— Êtes-vous prêt ? lui murmura Hugues à l’oreille.
— Je crois que j’étais prêt pour ce moment-là le jour de ma naissance, répliqua Tancrède dont l’excitation faisait trembler la voix.
Il avait tout oublié, les morts d’enfants, l’attaque de la veille ; il ne songeait plus qu’au départ.
Magnus le Noir et ses guerriers étaient debout non loin d’eux, impassibles. Sur un ordre jeté par Harald, les rameurs se précipitèrent vers leurs bancs.
Les battements du tambour reprirent, plus rapides.
À bord du knörr, les hommes avaient également levé le mât. Tancrède aperçut Giovanni entouré de ses passagers. Une silhouette féminine enveloppée d’un grand mantel à capuche se tenait près du marchand.
— Est-ce là la femme dont vous m’avez parlé ? demanda-t-il à son maître.
— Sans doute.
— Il faut bien du courage à une femme seule pour partir ainsi sur les mers à la recherche d’un époux qu’elle ne connaît même pas.
Hugues ne répondit pas. Les rameurs déverrouillaient les trous de nage obscurcis par des rondelles de bois, pour y glisser leurs avirons.
12
Eleonor comprit très vite que le knörr n’était pas fait pour accueillir des passagers. Bien qu’il fût plus grand et haut que l’esnèque, il était conçu avant tout pour le transport des marchandises. Des ballots de fourrures encombraient les cales, le pont était l’espace réservé des rameurs, et seul un abri à l’arrière était prévu pour les voyageurs, celui de l’avant étant le domaine du cuisinier.
La jeune femme, à qui son père avait parlé des galées des marchands pisans ou génois, ces lourds bateaux méditerranéens sur lesquels s’étageaient de vastes châteaux arrière, des entreponts et des écuries, se retrouva à la poupe du knörr dans une cabane sombre et basse de plafond où pendaient des branles de toile et où s’alignaient des cadres de bois servant de lits.
Une odeur de sueur et d’urine prenait à la gorge et seules la porte et une minuscule lucarne laissaient filtrer un peu d’air et de lumière. Elle suivit Giovanni au milieu des passagers et des matelots puis s’enfonça dans un étroit couloir.
Le Lombard ouvrit une porte et s’écarta :
— Allez-y !
Le vantail était si bas que la jeune femme dut se baisser pour entrer. Elle se retrouva dans un réduit à peine plus grand qu’un placard. Par une aération à claire-voie entrait un rayon de soleil qui tombait sur le plancher.
— C’est votre cabine, annonça fièrement Giovanni. Un branle, vous verrez, ces sacs de toile font de bons lits, des clous pour suspendre vos vêtements, il y a tout ce qu’il faut...
Il hésita et désigna un pot de terre maintenu contre la paroi par deux planchettes.
— Ceci sert d’urinai aux hommes, on le vide à la mer au matin... mais il arrive qu’il se renverse avant, d’où les odeurs que vous avez senties dans le dortoir. Vous pourrez l’utiliser par gros temps si vous êtes malade.
— Ah.
— Oui, la mer n’est pas toujours belle comme en ce moment. Elle est plus souvent déchaînée et dangereuse. C’est la première fois que vous naviguez, n’est-ce pas ?
— Oui.
— C’est bien ce que je pensais. Au fait, vous n’oserez pas me le demander, mais il n’y a pas de lieux d’aisances à bord. Pas au sens où vous l’entendez. Il faut aller à l’avant ou à l’arrière du navire et se jucher sur une planche percée que l’on cale par-dessus bord. Il faudra que j’arrange cela avec votre serviteur. Quand la mer est grosse, ce n’est guère facile déjà pour les gars, alors pour une femme...
Il regardait sa robe et ses fins souliers ornés de boucles d’argent.
— Excusez-moi, damoiselle, tout cela est bien joli à terre, mais sur un bateau... Avez-vous des braies et d’autres chaussures ?
— Je... Oui. Il m’arrivait de chevaucher habillée en homme et j’ai pris ma tenue de cavalier.
— Le mieux serait que vous soyez habillée comme cela à bord. Vous vous sentirez plus à l’aise et l’équipage fera moins attention à vous.
— Je me changerai.
Le Lombard désigna le branle.
— Pèlerins et voyageurs prennent toujours leur literie avec eux, mais j’ai pensé que vous n’auriez pas ce qu’il fallait, et je vous ai laissé ma couverture et mon coussin. J’en ai d’autres en
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