Les guerriers fauves
seuil.
— On n’y voit rien, là-dedans, murmura Bjorn.
— Laissez-moi passer devant, fit Hugues en s’avançant, la lame haute.
Au bout d’un moment, leurs yeux s’habituèrent à l’obscurité. La faible lueur de la lune éclairait une forme recroquevillée sur le plancher. Le bateau grinçait, les branles se balançaient avec la houle. Une large tache sombre s’étalait sous le corps. Hugues se pencha et posa sa main sur le cou du garçon.
— Il n’y a plus rien à faire, fit-il.
Il attrapa une couverture et en recouvrit le cadavre.
— On va le porter sur le pont, mais il faut que je trouve Tancrède.
L’Oriental imaginait le pire.
— Tancrède... fit Bjorn. Je l’ai vu passer alors que je montais la garde.
Bjorn s’interrompit. Le capitaine Corato avait surgi près de lui.
— Que s’est-il passé ici ? cria-t-il. Ah, c’est vous, Bjorn ! Répondez-moi !
— Je vais répondre à sa place, si vous le voulez bien, fit Hugues que le marin n’avait pas remarqué dans la pénombre du dortoir.
— Oh, vous êtes là ! fit l’autre dont le ton se radoucit. Je vous écoute.
— Bjorn a tué un des pirates, mais Pique la Lune a perdu son sondeur et vous, un de vos mousses.
Corato avait soulevé la couverture.
— P’tit Jean ! Sortez-le de là, Bjorn ! Encore un qui ne rentrera pas chez lui. Faudra que j’explique à sa famille. C’est moi qu’avais dit à sa mère de me le confier. J’aurais pas dû. Satanés pirates !
Ils ressortirent sur le pont. Bjorn alla déposer l’enfant près du corps du sondeur. Des marins arrivaient de partout, certains s’arrêtaient près des cadavres, se signaient ou crachaient par terre. Le marchand lombard fonça sur Corato. Il paraissait d’humeur exécrable.
— Descendez ces corps à terre et allez vérifier la marchandise, capitaine ! ordonna-t-il. Et faites recompter les ballots de fourrures. Il ne manquerait plus que ces marauds aient en plus réussi à nous voler.
Le capitaine héla un de ses marins qui accourut avec une torche.
Le ciel s’était dégagé et la lune éclairait les marais. Une odeur de feuillages humides et de terre montait de la prairie.
Tout avait l’air si paisible et pourtant l’inquiétude nouait la gorge de l’Oriental. Si son protégé avait croisé les pirates ? Il n’avait même pas son poignard, resté dans la tente.
Hugues se tourna vers Bjorn :
— Tout à l’heure, vous avez dit que vous aviez vu Tancrède ?
— Oui, messire. Je l’ai salué, mais il n’a pas paru m’entendre et il est parti le long du fleuve.
Le géant blond tendit le bras, montrant les roseaux qui bordaient les rives non loin du petit bois.
— De ce côté.
— Giovanni, autorisez-vous votre rameur à m’accompagner ? Il faut que je retrouve Tancrède et, en cas de mauvaises rencontres, nous ne serons pas trop de deux.
Le marchand acquiesça d’un grognement. Il avait pris sa tablette de cire et notait les chiffres donnés par Corato.
LE DIABLE DE LA SEUDRE
35
Des dizaines de torches éclairaient les prairies et les berges. Guerriers, moines et marins s’interpellaient. Des battues s’organisaient, ponctuées par l’appel rauque des cors.
— Il est trop tard, on ne les rattrapera plus, déclara Hugues en sautant dans la terre humide. Vous dites que vous avez vu Tancrède partir de ce côté ?
— Oui, messire, fit Bjorn. Mais je crois que nous n’aurons guère besoin d’aller plus loin. Regardez qui vient là-bas !
— Comment...
Hugues s’arrêta net. Sortant du sous-bois, un homme marchait vers eux. Sa chainse et ses braies étaient en loques, souillées de terre et de sang, et il tenait à la main une hache.
Le visage de l’Oriental s’éclaira.
— Vous n’êtes pas blessé ? demanda-t-il quand le jeune homme les eut rejoints. Ce sang...
— Ce n’est pas le mien, pas plus que cette hache n’est mienne, répondit Tancrède en l’étreignant avec force. Vous êtes vivant, mon maître. J’ai cru vous avoir perdu.
La gorge nouée, Hugues ne répondit pas. Le silence retomba entre eux et il était plus éloquent que tous les mots. Enfin, Tancrède se tourna vers Bjorn, qui s’était éloigné de quelques pas.
— Salut à vous, Bjorn.
— Salut à vous, messire ! Bien heureux de vous revoir en vie. Si vous n’avez plus besoin de moi, messire de Tarse, je retourne à mon bateau. Le marchand est furieux, le capitaine Corato ne va pas tarder à l’être
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