Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
corvée supplémentaire pour toi.
    Comme pour lui donner raison, Antoine s’avança dangereusement au bord du quai afin de contempler le pont d’une goélette amarrée en contrebas. Le marchand général du village surveillait le déchargement des produits venus de Québec. Jeanne se précipita en disant:
    — Fais attention à ne pas tomber.
    — Je ne tomberai pas.
    Plié en deux au-dessus du vide, son assurance paraissait exagérée. La domestique le tint par le col, tout en lui laissant le loisir de contempler les marins s’activant sur le pont de l’embarcation.
    Fernand se chargea d’offrir la même protection {
    Béatrice. Depuis la voiture, la vieille madame Dupire se fit une réflexion curieuse : « On dirait que c’est elle, la mère. »

    *****
    La maison de location se dressait à une assez bonne distance de la route. Le propriétaire, un cultivateur prospère, se retirait dans une autre habitation plus modeste afin de laisser la place à des villégiateurs. Ses propres enfants couchaient dans le foin entassé dans le fenil de la grange, alors que des étrangers profitaient des paillasses dans les lits. Les seconds n’obtenaient pas nécessairement le meilleur de cet échange.
    La proximité des agriculteurs fournissait à Antoine une occupation de tous les instants. Chaque fois qu’il arrivait {
    échapper à la surveillance des adultes, il collait aux pas des garçons du cultivateur pour observer leurs travaux. Sa sœur, plus timide, limitait ses explorations au potager situé près de la maison.
    Seulement sous la surveillance des grandes personnes, les petits pouvaient descendre la pente abrupte conduisant jusqu’{ la grève. Quand la marée se retirait, elle laissait une surface boueuse, couverte de galets gluants rendant la marche difficile.
    La succession de ces activités épuisait les enfants. A sept heures, ils gagnaient leur chambre pour s’endormir bien vite. Les adultes demeuraient ensuite dans la cuisine, ou alors dans le salon, sous la garde de photographies anciennes montrant les visages sévères des aïeuls des propriétaires des lieux. Eugénie choisissait le plus souvent de se réfugier là, sans autre compagnie qu’un livre. La vieille madame Dupire, quant à elle, retrouvait la chaise berçante placée près d’une fenêtre, une couverture de laine sur les genoux.
    Née en ces lieux, elle aurait incarné sans mal la grand-mère de cette maisonnée.
    Dans une promiscuité impensable à Québec, la vieille gouvernante se tenait sur un siège près d’elle, un tricot dans les mains. Elles ressemblaient à de vieilles amies et, après plus de quarante ans de cohabitation, elles l’étaient peut-
    être devenues, au-del{ du silence et des rituels s’imposant dans leurs relations.
    À neuf heures, Eugénie quitta sa retraite au salon. Elle laissa tomber, en s’engageant dans l’escalier :
    — Je monte tout de suite. Je suis fatiguée.
    — Bonne nuit, répondirent en même temps la mère et le fils en réponse à un souhait non formulé.
    Cinq minutes plus tard, la vieille dame répéta le même vœu au moment de se retirer vers sa chambre. La gouvernante l’accompagna afin de l’aider { se mettre au lit.
    — Veux-tu m’accompagner? demanda Fernand en se levant. J’aimerais marcher un peu sur la grève.
    Jeanne leva les yeux de la copie du journal posée sur la table. Un article retenait son attention depuis la fin de la corvée de vaisselle. Il concernait un commerce de fausses
    « exemptions de service militaire » mis au jour dans la région de Montmagny. Neuf mois après la fin du conflit, la question de la conscription agitait encore la société québécoise.
    — Je veux bien. Je vais prendre mon châle.
    A chacune des visites du notaire à Saint-Michel, le même scénario se reproduisait. Comme sa mère couchait au rez-de-chaussée, la maison n’offrait pas une discrétion suffisante à leurs rendez-vous. Ils devaient chercher un peu d’intimité
    { l’extérieur.
    Un moment plus tard, le couple se dirigeait vers le fleuve en gardant une distance de trois bons pieds entre eux. Le soleil avait disparu au-del{ de l’île d’Orléans, mais une clarté bleue permettait de bien distinguer le rivage de l’autre côté du bras du cours d’eau. Sur cette pente douce, ils apercevaient les longs
    rectangles
    des
    terres
    cultivées,
    jaunis
    par
    l’avoine rendue { maturité, et quelques maisons le long de la route.
    Ils avaient déjà leurs habitudes. En

Weitere Kostenlose Bücher