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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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la regarda rejoindre le trottoir, haute silhouette élégante et digne dans ses vêtements de deuil.

    Chapitre 10

    Le simple fait de quitter bientôt le commerce familial rendait Mathieu un peu plus serein. Bien sûr, au fil des jours, des clientes demandaient encore :
    — Comment c’était, l{-bas ?
    Il répondait invariablement avec un sourire à peine crispé :
    — Une aussi charmante personne que vous n’a pas vraiment le désir de le savoir, croyez-moi.
    La moindre insistance de son interlocutrice se heurtait ensuite à un silence buté et à un faciès de moins en moins avenant, au point de devenir parfois hostile.
    En fin d’après-midi, le dernier jour de juin, Françoise descendit l’escalier { demi pour lui dire :
    — Mon père se trouve au bout du fil. Il aimerait te parler.
    Le téléphone du commerce avait été installé { l’étage, car le minuscule bureau de la propriétaire se trouvait là. Le jeune homme monta prestement, appuya le cornet contre son oreille et prononça dans la pièce de bakélite placée en haut d’une petite colonne de laiton :
    — Mathieu Picard { l’appareil. Vous m’appelez de Rivière-du-Loup ?
    Dans l’affirmative, mieux valait limiter la conversation
    { l’essentiel : les appels interurbains demeuraient hors de prix.

    — Non, j’ai dû revenir dans la capitale ce matin, afin de discuter d’octrois pour la construction de chemins.
    La gestion du patronage meublait le quotidien des élus.
    Une paroisse privée trop longuement d’un bout de route ou d’un petit pont revêtait bien vite un charme fou pour le parti d’opposition.
    — J’ai parlé de toi { droite et { gauche, ces derniers jours, continua le député. J’aurais un poste un peu étonnant à te proposer. Mais au moins, il y a un salaire.
    — Etonnant jusqu’{ quel point ?
    — Le bureau du procureur général.
    Tous les étudiants en droit savaient que ce « ministère »
    s’occupait de poursuivre au nom du roi - de l’État, en réalité
    - les personnes accusées d’un crime. On désignait les membres de ce service du titre d’avocats de la Couronne.
    — Bien sûr, cela ne vaut pas un gros cabinet, reconnut Dubuc.
    — Comme les études responsables des affaires des grandes entreprises sont les seules à pouvoir rendre un procureur riche, les candidats doivent se bousculer aux portes.
    — C’est exactement cela.
    Ces postes convoités revenaient à des personnes très proches du pouvoir. Le protégé d’un simple député du Bas-Saint-Laurent rompu aux querelles de clôtures ne se classait pas parmi les prétendants légitimes.
    — Je vous remercie infiniment, dit Mathieu avec chaleur.
    Ce sera pour moi une excellente école de droit criminel.
    L’étudiant avait raison. Sa sincérité rassura son interlocuteur.
    — Tu pourras te présenter dès demain chez l’un des substituts du procureur, Arthur Fitzpatrick.
    — Le fils de. .

    — De Charles, le représentant de Sa Majesté le roi dans notre belle province.
    Charles Fitzpatrick occupait le poste de lieutenant-gouverneur depuis l’année précédente. Cela représentait tout un accomplissement pour l’un des défenseurs de Louis Riel, le chef métis exécuté en 1885.
    — Il y a un petit inconvénient, précisa encore son interlocuteur { l’autre bout du fil. Comme tu le sais, l’Assemblée n’est pas en session, les tribunaux font relâche une partie de l’été. Cet emploi ne débutera pas avant septembre.
    Je sais que tu désirais quitter la boutique. .
    — Ne vous en faites pas. De toute façon, j’ai sous les yeux la jeune vendeuse recrutée par maman pour compenser mon absence. Au cours des semaines à venir, je potasserai mes gros codes. Je porterai une attention particulière au droit criminel.
    La jeune fille en question, prise en main par Thalie, explorait depuis le matin la section des sous-vêtements.
    Agée d’une vingtaine d’années et connaissant quatre mots d’anglais - May I help you ? -, elle constituait une relève passable au fils de la maison.
    — Une nouvelle employée. . se lamenta le député.
    Marie ne voudra pas s’éloigner.
    — J’ai plaidé pour vous. Surtout, j’ai promis { maman de demeurer au magasin pendant toute la durée de ses vacances. Puis, cette fille n’est pas une véritable néophyte.
    Elle a travaillé ici quelques mois en 1918, avant de déserter pour une usine de munitions. Elle comprend maintenant que les dentelles promettent une plus longue carrière que

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