Les héritiers
faire cela? glapit Elise quand la porte se referma dans son dos. Tu es cruel.
Les larmes coulaient maintenant sur ses joues. Le docteur regagna son siège à son tour.
— . . Tu m’as fait revivre la scène de 1908, avec Charles.
Alors, c’était un jeune collègue prometteur, maintenant c’est un veuf. Voil{ trois heures que je me retiens de hurler de toutes mes forces.
— Je. . commença son père, maintenant profondément ému. Je n’avais pas pensé { cet aspect des choses.
— Ne te moque pas de moi. Tu invites quelqu’un pour me caser, encore une fois. Tu as dû te dire : « Comme cela a fonctionné avec le premier candidat, essayons encore. »
Ainsi, je partirais et tu retrouverais ta vie tranquille.
Les derniers mots vinrent dans un sanglot. L’homme chercha dans un tiroir de son bureau pour en sortir un mouchoir à peu près propre. Elle se moucha bruyamment.
— Tu sais, pour un vieux couple comme nous, ton retour à la maison n’est pas une catastrophe, mais une bénédiction. Demain, au plus tard après-demain, nous serons vieux. Tout le monde rêve d’un enfant aimant pour prendre soin de lui à ce moment.
La jeune femme ne put réprimer l’ombre d’un sourire.
— Donc, tu allais contre tes intérêts en tentant de me pousser dans les bras de ce vieux monsieur.
— A mes yeux, il est jeune. Ecoute-moi bien, tu as trente ans. C’est bien tôt pour renoncer { ton existence de femme.
Le jour où tu rencontreras quelqu’un, je verrai cela comme une bénédiction pour toi, mais j’aurai un pincement au cœur.
— Charles est mort depuis huit mois. Penses-tu que je veuille le remplacer ?
L’homme posa ses avant-bras sur la surface de son bureau, réfléchit un moment.
— Tu ne le remplaceras jamais, comme je ne remplacerais pas ta mère si elle venait à mourir. Tu as vécu avec lui quelque chose d’unique.
Elle acquiesça d’un signe de la tête, heureuse de l’entendre le dire.
— A cette époque, en 1908, je ne l’avais pas invité pour te caser, mais pour te permettre de rencontrer une personne que je trouvais estimable. Tu vas me le reprocher aujourd’hui ?
Cette fois, ce fat en rougissant qu’elle confia :
— Non, bien sûr que non.
— Je souhaite que tu rencontres d’autres personnes estimables.
- Je. .
— Ne me dis pas que tu ne le désires pas. Je serais trop déçu de voir ma fille âgée de trente ans m’annoncer que la vie ne lui apportera plus rien de bon.
De nouveau, elle se moucha, essuya les larmes sur ses joues.
' — Aujourd’hui, je ne peux pas concevoir qu’un jour futur je m’intéresserai { quelqu’un.
— Cela, je peux le comprendre. Mais tôt ou tard, tu devras faire un effort pour sortir de ta solitude.
— Je vis dans ta maison avec mes enfants. Je ne suis pas seule.
Les yeux de l’homme exprimaient un profond scepticisme, mais il choisit de se taire.
— Mais ce soir, tu as voulu me forcer la main en me présentant ce monsieur.
— Je pense être assez bon juge des personnes. Philippe est un homme bien. Je ne peux deviner s’il a la moindre inclination pour toi, ou toi pour lui. Comme tu es une femme adorable, quelqu’un s’intéressera { toi un jour.
Garde seulement les yeux ouverts, et ne lui fais pas grise mine quand il se présentera.
— Ecoute, je comprends que cela te vient d’un bon sentiment.
Ce soir, tu souhaitais. . Ces projets communs. .
Son père éclata de rire, Elise s’assombrit d’abord. A la fin, il consentit à lui expliquer :
— J’aimerais le voir abandonner son cabinet pour venir pratiquer ici. Nous avons aménagé une pièce de consultation pour Charles, elle a bien peu servi.
— Quel avantage y trouveras-tu ?
— Je ne la lui laisserais pas gratuitement. Je ne pense pas que tu sois terriblement occupée pendant la journée. Tenir les horaires de deux personnes, percevoir les frais de consultation, écrire aux clients récalcitrants. . En fait, je veux profiter de toi un peu plus. Je lui ferais payer le local et le secrétariat.
Les deux projets, la « caser » et tirer un meilleur parti de sa situation professionnelle, devaient hanter son père. Après cette conversation, Elise ne pouvait plus lui en vouloir. Au moins, l’homme se montrerait dorénavant plus circonspect dans ses grandes manœuvres.
— Je vais aller rejoindre maman. Elle doit se demander si nous n’avons pas échangé tout notre répertoire de gros mots.
— Oh ! Elle demeure convaincue que ni toi ni moi
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