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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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élémentaires. En tous les cas, ce fut mon sort. A la guerre, il faut oublier tous les usages. Du jour au lendemain, nous devons tuer des jeunes gens de notre âge.
    Des deux côtés, nous avions tous vingt ans.
    — C’étaient des ennemis, ils étaient responsables de leur malheur. La Grande-Bretagne n’a pas déclenché la guerre.
    Mathieu secoua la tête, excédé par cette assurance tranquille.
    — Aucun des gars que j’ai tués n’a déclaré la guerre. Un vieil empereur avec de grandes moustaches a déclenché cette boucherie. Maintenant, il se cache en Hollande.
    Jamais il ne passera devant un tribunal pour expier ce crime.

    Des deux côtés, dans les tranchées, nous étions là en vertu de la volonté de vieux messieurs souvent incontinents.
    L’homme marqua une pause, puis formula avec un certain cynisme :
    — C’est ridicule, hein ? Je me suis porté volontaire et je tiens des discours de ce genre !
    — Tu t’es enrôlé afin de faire ton devoir, par loyauté pour le roi et l’Empire, murmura sa compagne.
    — Oh non ! Rien de si grandiose. Je ne saurais même pas te dire pourquoi.
    Mathieu marqua une pause, puis proposa :
    — Veux-tu une crème glacée ? Il y a un restaurant dans ce kiosque.
    Le mouvement de la tête fit voler les boucles châtaines en guise de refus.
    — Tu as dis la honte ? Ce n’est pas seulement dû au fait de tuer des jeunes gens, n’est-ce pas ?
    — Tuer à coups de carabine, à coups de revolver, parfois aussi avec la baïonnette. Les tripes pendantes sur les cuisses, les hurlements de douleur et de peur mêlés, la terreur dans leurs yeux surtout. .
    Catherine porta sa main droite sous son nez, comme pour empêcher une odeur de mort d’atteindre ses narines.
    Elle apprécia avoir une digestion solide, car une fois lancées, les confidences ne s’arrêteraient pas tout de suite.
    — Les officiers attirent maintenant l’attention dans les salons. Sur un champ de bataille, ils jouissent de l’insigne privilège de mener leurs hommes à la mort. Dans une année au front, as-tu la moindre idée du nombre de jeunes gens tués sous mes ordres ?
    — Encore l{, c’était ton devoir.. comme celui de John.
    Cela faisait une bien piètre consolation, la jeune femme le devinait bien. Suivre les ordres représentait une excuse douteuse pour une âme sensible. Elle demeura silencieuse, car son compagnon ne paraissait pas avoir terminé.
    — Tu t’en doutes, puisque ton frère et moi avons été victimes d’éclats d’obus, le pire { endurer, c’était la canonnade constante. Une pluie de plomb et de fer nous tombait sans cesse dessus. Le bruit devenait assourdissant, le sol tremblait sous nos pieds. Savais-tu que certains soldats souffraient d’un état de choc ?
    Le vétéran avait utilisé l’expression shell shoked, rendue familière par les journaux.
    — Des gars pleuraient comme des bébés, recroquevillés au fond d’une tranchée, pissant et chiant sous eux.
    Elle reporta ses doigts sous son nez, résolue à ne pas lui demander de se taire, { entendre ses confidences jusqu’{ la fin.
    — Ils n’entendaient plus rien. J’avais beau leur crier {
    l’oreille, ils ne saisissaient rien { mes ordres. J’utilisais les menaces, je frappais sur eux avec la crosse de mon revolver.
    Une pause un peu plus prolongée incita la jeune femme à poser ses yeux dans les siens, attentive.
    — Deux gars ont refusé de se porter { l’attaque. J’ai dû faire un rapport sur leur comportement. J’ai suivi les ordres, j’ai fait mon devoir, comme tu le disais plus tôt.
    De nouveau, il s’enferma dans le silence, se concentra longuement sur la manœuvre du traversier de Lévis, en train de s’amarrer au quai.
    — Ils ont été accusés de désertion. Savais-tu que plusieurs hommes du 22e bataillon ont comparu devant la cour martiale, pour ce motif?
    — La rumeur circulait dans les journaux. Dans mon milieu, on accusait les nationalistes de la répandre pour nuire { l’effort de guerre.

    — Dans le mien, sur le front, nous soupçonnions les officiers canadiens-français de se montrer plus sévères que les autres, à ce sujet. Ils cherchaient sans doute à se faire une réputation de courage, de loyauté, auprès de leurs collègues de langue anglaise.
    Une grimace de dépit marqua le visage du vétéran.
    — . . Qu’en penses-tu? demanda-t-elle.
    — Il faudrait avoir tous les chiffres sur les exécutions : ces informations sont soigneusement gardées

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