Les héritiers
inclination première le portait plutôt vers les hommes. '
— Tu en sais tout de même plus que moi. . Puis ne joue pas à la modeste dans ce domaine. Tes enfants font preuve d’un savoir-vivre sans faille. Bien que non conformiste, jamais Thalie ne se rend coupable d’un accroc { la bienséance ou d’une faute de goût.
D’un côté, la femme pouvait s’enorgueillir de ses succès, de l’autre, le «non-conformisme», aux yeux de plusieurs, constituait en soi une véritable tare.
— Mais tu sais, commenta-t-elle, peu désireuse de s’engager sur le terrain de ses propres enfants, confier l’éducation des jeunes filles { des personnes ayant fait vœu de chasteté ne permet guère de les préparer { la réalité. On a dit à Amélie de chercher le bon parti, mais aucune de ses religieuses éducatrices ne se doutait de la façon de le faire !
— C’est pour cela que je suis heureux de ta présence. Tu as les deux pieds sur terre.
— Oh ! Je n’ai vraiment aucune prétention { la sainteté. Je ne m’envolerai pas au ciel comme la Vierge dont je porte le prénom.
Le député chercha sa main, la garda dans la sienne un long moment. Ces derniers jours, il s’était montré un peu partout en sa présence. Ce soir, de la rue, tous les passants verraient leur silhouette proche l’une de l’autre. Aussi Marie l’entendit dire sans surprise :
— Lors de ta première visite ici, tu te souviens, je t’ai demandé quelque chose.
— Tu ne veux certainement pas parler d’une invitation à se promener dans le parc près de la rivière. .
La femme s’interrompit pour reprendre, sur un ton plus bas encore :
— Tu m’as demandé de t’épouser. Je m’en souviens très bien.
— Tu as refusé.
— Pour des raisons qui ne diminuaient en rien mon affection pour toi. .
Le politicien laissa échapper un soupir. Elle ne l’aidait guère.
— Je veux te refaire cette demande en mariage aujourd’hui.
Veux-tu m’épouser ?
— Cela me semble. .
— Impossible ?
— Difficile.
Voilà qui se révélait plus encourageant. Paul approcha encore sa chaise de la sienne, puis reprit un peu plus bas, cette fois afin de priver sa sœur, cloîtrée quelque part dans la maison, d’entendre :
— Tu avais évoqué deux motifs : le premier était les relations entre Mathieu et Françoise. Comme nous le savons, ces deux-là ne risquent pas de nous faire compétition au pied des autels.
— S’ils changeaient d’idée ?
— Cela paraît bien improbable. Mais si cela survenait tout de même, des amis { l’évêché prétendent que notre maison, ou la leur, serait possible.
La précision la laissa perplexe.
— Tu es bien sérieux dans ce projet, si tu as mené une consultation de ce genre.
— Je n’ai jamais été aussi sérieux.
Sa main chercha celle de sa compagne, puis il insista :
— Nous nous entendons très bien. Toutefois, nos voisins risquent de trouver notre petit arrangement condamnable.
Tous les deux, nous nous exposons aux critiques.
— Je te le dis sans cesse, clama la femme, nous pourrions être plus prudents.
— Je n’ai aucune envie de me cacher. Cela me semble ridicule.
Libres tous les deux, ils jouaient aux amoureux clandestins.
Cette situation répugnait au député.
— Je me suis habituée à mon indépendance, rappela sa compagne. Je mène mon affaire comme je l’entends. Je suis la seule responsable de mes succès et de mes échecs.
Elle s’accrochait toujours { ce même motif. L’homme l’entendait sans surprise.
— Tu crains vraiment que je veuille un jour me mêler de tes affaires ? rétorqua-t-il sans hésiter.
— Tu en aurais la possibilité. Une femme mariée perd tous ses droits.
— Une épouse peut conserver ses biens propres, au moment du mariage. De plus, un contrat devant notaire permettrait de bien établir tes droits. Tu choisiras le notaire, la teneur du contrat, et je signerai.
Marie demeurait songeuse. Mille raisons lui donnaient envie de dire non. Elle demanda à la place :
— Tu en es certain ?
— N’importe quel tabellion un peu compétent pourra te le confirmer. Consulte un professionnel de la Haute-Ville, une personne habituée aux ententes un peu compliquées.
— Je ne sais trop. .
Son propos la laissait troublée. Son compagnon se pencha vers elle pour dire :
— La seule véritable question, tu dois te la poser à toi-même, pas { un notaire. M’aimes-tu assez pour unir ta vie à la mienne ? Tout le reste, ce sont des
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