Les héritiers
cela me touche.
Son hôtesse hocha la tête. La vie leur offrait une occasion de faire plus ample connaissance.
— Veux-tu l’enlever ? Cela me ferait plaisir.
Tout de suite, il comprit qu’elle parlait du gant. Un instant plus tard, il le faisait disparaître dans la poche de sa veste.
*****
À neuf heures, la lumière entrait encore à profusion par la lucarne. Mathieu demeurait étendu sur le dos, vêtu de son seul sous-vêtement, les deux mains réunies sous sa nuque. Son côté droit offrait une collection impressionnante de zébrures
boursoufflées.
Huit
éclats
d’obus,
plutôt
petits, avaient labouré la chair de sa poitrine. Sa vie tenait à cela. Plus gros, ils auraient atteint des organes vitaux. Son bras droit portait un lacis, dessiné par des morceaux minuscules.
Le sommeil tarderait à venir. Pendant des heures, le cinéma lugubre dans sa tête ne cesserait pas.
*****
Thalie et Françoise, Catherine sur leurs talons, descendirent au rez-de-chaussée un peu avant huit heures et demie, le lundi suivant. Pour la centième fois, la jeune fille de la maison répétait à son amie :
— Chez toi, tu n’as pas { te taper ce genre de corvée. Je m’en veux de t’imposer cela. Et surtout, je me sens un peu coupable, et déçue aussi, de ne pas te consacrer toute mon attention.
La visiteuse éclata de rire avant d’expliquer :
— La Bank of Montréal n’est pas une entreprise familiale.
Papa est le seul à figurer sur la liste de paie de sa succursale, mon coup de main gratuit aiderait des actionnaires anonymes. Mais contribuer à une petite entreprise familiale comme celle de ta mère me réjouit.
La jeune femme marqua une pause, soudainement habitée par le souvenir de ses proches.
— Remarque, papa fait tout pour que John soit recruté par son employeur. Mais lui, c’est un garçon.
Chez les anglophones aussi, cela faisait parfois toute la différence. Au moment où elles arrivaient en bas, une voix les accueillit sur un ton de reproche feint :
— Alors, mesdames, nous faisons la grasse matinée ?
Mathieu se tenait devant un carton grand ouvert. Une à une, il posait les robes sur des cintres avant de les accrocher à un présentoir.
— Ne fais pas ton petit patron détestable, rétorqua sa sœur. Nous ouvrirons dans trois minutes exactement, comme { l’habitude.
Contre la fenêtre découpée dans la porte, des coups légers attirèrent l’attention de la jeune fille. Elle leva la tête, découvrit le visage de la vendeuse recrutée la semaine précédente.
Un instant plus tard, elle tira les verrous pour la laisser entrer.
Les jeunes femmes gagnèrent leur poste. Catherine, ne sachant guère comment s’occuper, se planta devant Mathieu.
— Je suppose que je saurai placer ces robes à leur place, déclara-t-elle.
— Elles vont selon la taille.
— Tout de même, je suis allée assez souvent dans les magasins pour apprendre cela.
Le garçon répondit d’un sourire, puis il se dirigea vers le fond afin de dénicher d’autres grands cartons. Jusqu’{
midi, tous les deux regarnirent les étagères et les présentoirs mis { mal par l’affluence de la semaine précédente.
A l’heure du dîner, Thalie monta au dernier étage, revint avec un plateau de sandwichs et une théière. Dans la petite salle au fond du magasin, le frère et la sœur se tinrent seuls un moment.
— Comment
trouves-tu
tes
nouveaux
quartiers
?
interrogea-t-elle.
— Plaisants. Notre tante Elisabeth se montre une hôtesse parfaite. Les repas valent amplement ceux de Gertrude. Hier, j’ai passé une partie de l’après-midi sur la terrasse Dufferin, un livre à la main. De ton côté, as-tu trouvé { t’occuper en ce beau dimanche ?
— Après mon retour, Catherine et moi sommes allées en excursion du côté des chutes Montmorency.
L’arrivée de Françoise dans la pièce les ramena au silence. Le jeune homme n’entendait guère s’entretenir des activités dominicales de cette dernière avec le beau Gérard.
— Notre incroyable domestique te fait-elle encore la vie dure ? lui demanda-t-il plutôt.
— Elle arrive { me sourire quelques secondes d’affilée.
D’ici la fin de cette semaine, j’espère la voir atteindre la minute.
— Elle y arrivera. . Bon, je vais me poster derrière la caisse, le temps de vous laisser manger.
À cette heure-là, les clientes se raréfiaient au point de permettre à un effectif réduit de s’occuper de tout le commerce. La jeune
Weitere Kostenlose Bücher