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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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bol qu’elle s’emporta un peu :

    — Répondre n’est pas si difficile, tout de même.
    Le «Goddamn!» précédant le mouvement d’humeur attira l’attention de quelques clients assis { la table voisine.
    Elle continua sur un ton plus mesuré :
    — Pourquoi John ne veut-il rien dire ? Pourquoi ne veux-tu rien dire à Thalie ou à ta mère ? Nous ne sommes pas si innocentes, les journaux nous ont abreuvées d’histoires d’horreur.
    Nous
    ne
    perdrons
    pas
    conscience
    au
    moindre récit de bataille.
    Le jeune homme regarda un moment les grands yeux gris, les traits délicats. A la fin, il murmura :
    — Vous ne savez rien. Parmi les gens restés { l’arrière, personne ne sait comment c’était. Bien sûr, vous avez lu des articles. Mais même si les gazettes ont donné des détails très précis, tu sais bien qu’imaginer et vivre des événements, ce n’est pas la même chose.
    Il la contempla un moment. Pour prévenir une protestation de sa part, il précisa :
    — Lire que mille cadavres pourrissent dans le no man ’s land, ce n’est pas comme en respirer l’odeur tous les jours.
    La jeune femme plissa le nez, déposa la cuillère dans son bol avant de repousser celui-ci de quelques pouces.
    — Je vois, admit-elle à la fin. Tu as raison. Savoir que vous avez vécu ces horreurs, ce n’est pas comme les endurer soi-même.
    Pendant la majeure partie du second service, elle essaya de s’intéresser { d’autres sujets. Puis elle revint sur l’objet de sa préoccupation :
    — Ce silence de la part des vétérans, ce serait seulement pour nous épargner les détails les plus. . insupportables?
    Mathieu contempla son interlocutrice, porta les yeux sur le petit bout de son majeur, comme surpris de le voir nu.
    — Oui et non, céda-t-il à la fin. Sur un trottoir, un homme doit marcher du côté de la rue afin d’éviter { sa compagne de salir le bas de sa robe. Alors, raconter des histoires pareilles à des parentes, à des amies. .
    Catherine hocha la tête pour indiquer combien elle comprenait. Elle demanda encore :
    — Ça, c’était le oui. Et le non ?
    — La honte.
    Il n’avait pas hésité une seconde. Un moment, elle demeura bouche bée.
    — La honte de quoi, grands dieux ? souffla-t-elle. Vous êtes des héros ! Tout le monde vous adule.
    Le ricanement de son interlocuteur la troubla.
    — Je comprends, songea-t-elle. Chez les Canadiens français, la participation à la guerre demeure un sujet de controverse. .
    — Bien au contraire. Tu sais, maintenant que plus personne ne risque l’enrôlement, { part quelques tarés, tous les habitants de la province chantent les louanges du 22e bataillon d’une seule voix.
    Il marqua une pause, puis proposa :
    — Prenons une tasse de thé, puis allons poursuivre cette conversation ailleurs. Cet endroit compte un peu trop d’oreilles attentives.
    Comme leur échange se déroulait en anglais, les touristes étaient { même d’en faire leur profit. Des sujets anodins les occupèrent jusqu’{ la fin du repas. Au moment de payer, la jeune fille proposa :
    — Laisse, je vais m’en occuper.
    — Cela ne se fait pas !
    — Entendre ces mots de la bouche du frère de Thalie ! Cela me semble incroyable. Je croyais toute la famille à l’abri des traditions.
    — Ah ! Mais moi, je suis attaché aux convenances.

    Sur ces mots, le jeune homme tira son portefeuille de sa poche. Elle insista en ouvrant son sac :
    — Tu es venu ici à ma demande. Normalement, tu mangerais à la pension Sainte-Geneviève.
    — Tout de même, je ne te laisserai pas payer.
    — Tu me forceras à accepter ta générosité ? Au moins, je paierai mon repas. Cela se fait, chez les Anglais.
    Comme le serveur se tenait près d’eux, l’homme céda avec un soupir. Quelques minutes plus tard, tous les deux s’installaient sur un banc de la terrasse Dufferin.
    Des dizaines de verges plus bas, des embarcations de toute taille décrivaient un curieux ballet sur le Saint-Laurent.
    —=- C’est magnifique, s’extasia la jeune femme.
    — Oui, c’est vrai. Nous finissons par ne plus le voir.
    Elle fixa ses grands yeux gris dans les siens, dans une demande muette.
    — Les vétérans semblent se diviser en deux groupes, dit-il à la fin: ceux qui racontent leurs exploits, le plus souvent imaginaires sans doute, et ceux qui en ont honte.
    — Je ne comprends pas. Vous faisiez tous votre devoir.
    — Mais nous avons tous été élevés dans le respect de certaines règles

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