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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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écoutent blottis contre la porte. Au loin, un pas pesant
gravit l’escalier, se rapproche par la galerie. Voici, voici. À grands fracas
la porte de la 13 e -21 s’est ouverte. Ce dialogue s’engage :
    Une voix de basse indifférente :
    – 13 e -21, Michaud, Oscar-Léon, c’est bien
vous ?
    Une voix palpitante, empressée, étranglée :
    – Oui, monsieur le gardien, oui, c’est moi.
    Le pauvre hère a entendu. Il sait. Mais il ne croit pas
encore. Il a peur. Devant ce gardien moustachu à teint de brique, qui tient sa
destinée écrite sur un bout de papier le pauvre hère voudrait s’aplatir en
complaisances séductrices. Et il voudrait aussi lâcher son cœur prêt à bondir
de la poitrine, crier :
    – C’est moi ! Moi ! Moi !
    La voix de basse reprend calmement :
    – Prenez vos frusques. Liberté provisoire.
    L’autre voix confuse, avec effusion, d’un ton d’écolier
reconnaissant :
    – Merci, m’sieur.
    Ils s’en vont. On entend le pauvre hère raconter avec
volubilité son histoire. Le 13 e -20 et le 13 e -22 se
redressent taciturnes, le même pli sans doute barrant leurs fronts durs. Le 13 e -20
en a pour deux ans au moins. Le 13 e -22 en a pour dix ans…
    Autre cri, au fond du corridor :
    – 13 e -23, liberté !
    Le 13 e -20 se mord les lèvres, se tord les poings.
Le 13 e -22 jette autour de lui, sur la cellule assombrie de seconde
en seconde, un regard égaré ; sa rage montante se condense en imprécations
vagues :
    – Ah ! les vaches ! Nom d’une bique !
    Alexandre Dumas raconte dans un de ses romans une horrible
exécution à Venise. Trois misérables devaient subir un supplice raffiné. Ils
marchèrent calmement à l’échafaud, prêts à mourir, presque morts déjà au fond
de leur âme. Un courrier apparut soudain, apportant la grâce de l’un d’eux. Alors
ce fut chez les deux autres une révolte frénétique. Voir survivre leur était
pire que la mort. Cette page de roman est d’une atroce vérité psychologique. – Ici,
chaque annonce de libération procure à la plupart de ceux qui l’entendent une
insurmontable secousse nerveuse. Les frustes en souffrent, malgré l’habitude, comme
d’une soudaine blessure. Ceux qui se sentent frôlés par la libération, pour
avoir été les voisins de celui qui s’en va, ressentent l’outrage d’une iniquité.
    Les appels au parloir ont le même écho. Une effroyable
jalousie ronge le cœur des abandonnés et des trahis quand leurs frères d’infortune
sont visités par des proches. J’ai connu deux compagnons de cellule dont l’un
vouait à l’autre une haine mortelle. Celui-ci avait été livré, par sa maîtresse,
à la police. Celui-là recevait chaque jour de la sienne des lettres passionnées…
    Au soir tombant, d’autres cris déchirent le silence.
    L’heure s’écoulait morne. Tout à coup, du dehors, une voix
vibrante a clamé :
    – Bonsoir, les amis, bonsoir !
    Une seconde d’attente. Toute la prison écoute. La voix
véhémente plane et tournoie avec fureur :
    – Didi de la Chapelle vous dit bonsoir ! Courage
et du sang !
    C’est l’adieu de ceux qui s’en vont. Parfois la révolte, punie
le soir même de cachot, de quelque exaspéré qui reste. Appel, exhortation, promesse.
    La farouche exhortation porte profondément. Ce cri-là, monté
des bas-fonds de Paris atteste en vérité une tradition de courage et de sang.
    Parfois parvient, le soir surtout, à l’encellulé quelque
bruit de la rue. Une automobile a corné. La lointaine sonnerie d’un tramway
retentit. L’image surgit, instantanée, de la rue allumée et de ce tramway. On
voit les mains gantées de laine du wattman se poser sur le volant. On voit tout.
On respire l’odeur de l’asphalte et de l’essence. Et tout s’abolit.
    Dans le guichet rapidement ouvert de la porte, deux yeux
sous une visière de képi apparaissent, disparaissent. On se sent muré vif. Selon
que l’on est vieil enfermé ou novice, la tranquille grisaille de l’heure
reprend plus ou moins vite sa tonalité normale.
    La ville et la vie ne sont qu’irréalité.
    Le réel, ce sont ces murs. Et ces cent soixante-deux petits
traits de l’angle obscur du parquet sous la phrase gravée par un inconnu :
«  Plus que sept mois et je la tuerai. »

6. Le régime.
    Un coup de cloche donne, à sept heures du matin, le signal
du lever. Un quart d’heure plus tard, la porte de la cellule est ouverte par le
gardien de service pour une rapide

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