Les hommes dans la prison
épaules voûtées, mains
serrées dans l’étau des fers, un homme qui, sous la douleur et l’infamie, hurlait
sa détresse, pareil à une bête qu’on assomme. Latruffe, mufle pointu et bouche
baveuse, s’acharnait sans doute doucement sur lui à coups de clefs en l’injuriant
de sa petite voix d’eunuque, avec des bégaiements de grand dadais. Un cri plus
aigu et plus ample s’abattit dans un brusque silence.
L’infirmier Ribotte, du 3 e , accourait à pas
précipités. Ses pieds nus dans les espadrilles faisaient « floc-floc »
sur le parquet. La salle l’entendit appeler Thiébaut :
– Viens vite. Y a Perchot qui claque. Et Machin qui a
un crachement de sang.
– Qui ça ? grommela l’autre.
D’un lit à l’autre, dans la salle, ces quelques mots
passèrent :
– Y a Perchot qui meurt.
On était bien, pourtant.
32. Les morts se suivent.
Perchot ne mourut pas ce soir-là, mais un autre soir, à
quelques jours de là.
Au troisième étage de l’infirmerie se trouvaient deux
rangées de petites cellules peintes en vert léger, affectées aux malades isolés,
contagieux, chroniques ou placés en surveillance spéciale.
La cellule 2, fermée par une porte vitrée, avait vue sur l’extérieur.
Un grand lit bas chargé de couvertures et de vêtements y tenait toute la place.
Le corps du malade y disparaissait moulé par le creux où, depuis des mois, il
gisait. L’homme paraissait dévoré par le lit. La tête seule émergeait, appuyée
à des traversins, obstinément tournée vers la fenêtre. Sous la peau amincie, les
contours nets des os esquissaient déjà une tête de mort : front dénudé de
vingt ans, joues creuses, sous un duvet naissant, mais lèvres singulièrement
vermeilles découvrant les dents, dans un large rictus blanc. On voyait battre
les veines des tempes. Ce qui restait de force au malade se concentrait dans l’éveil
des yeux luisants.
Ce matin, Perchot, après la nuit terrible, deux heures d’évanouissement,
puis un morne sommeil, entrouvrit les yeux sans sortir entièrement de son rêve.
Le flanc lui faisait mal. La cime des peupliers se balançait, là-bas. Des
nuages blancs traversaient le ciel. Catherine traversait la cour de la ferme, les
bras nus, en sabots. Des poules picoraient auprès de la fosse à purin. Une fade
odeur de paille pourrie planait dans l’air chaud où bourdonnaient les mouches. Le
père criait : « Zidore, Zidore ! » Perchot mourant revivait
ces choses mortes quand il entendit des paroles errer autour de lui. De qui
parlait-on ? Catherine entrait à la cuisine, Maraud, vieux dogue borgne, s’étirait
auprès de sa niche…
– Le docteur a dit qu’il ne passerait pas la nuit. Morphine…
Hier, le Juteux lui a donné une tablette de chocolat. Faut le réveiller, j’ai
pas l’temps. Tenez, préparez la seringue.
– Perchot ! Perchot ! A-t-il le sommeil dur !
Perchot !
Perchot sortit de l’oubli. L’infirmier Ribotte défaisait ses
couvertures. Un nouveau venu remplissait attentivement une seringue de Pravaz. Le
malade regarda l’aiguille d’acier avec indifférence. Les piqûres ne lui
faisaient plus mal. Mais l’homme qui tenait la seringue tourna vers lui un
visage maigre éclairé d’un doux regard gris. Il ne dit rien, il arrangea l’oreiller,
il plia les vêtements jetés aux pieds du lit, pendant que l’infirmier faisait
la piqûre.
Alors Perchot voulut dire quelque chose à ces yeux
étrangement fraternels :
– Merci, merci, balbutiait-il. Ça me fait du bien. C’est
un bon remède, ça… Il me semble que ça va me sauver. Je suis mieux, tout de
même, depuis trois jours. Je ne souffre plus…
Comprenant qu’il mentait trop, il ajouta :
– Cette nuit, ce n’était qu’une faiblesse. N’est-il pas
vrai, Ribotte ?
– Bien sûr !
Ribotte notait quelque chose sur son calepin.
– Oui, vous allez mieux, dit enfin le nouveau venu. Je
vous apporterai une goutte de café, voulez-vous ?
Ribotte sortait. Ils furent seuls. Jamais ces deux hommes ne
s’étaient parlé auparavant. Une confiance les rapprocha pourtant. Le visiteur
se pencha si près que le malade put lui parler bas, presque à l’oreille.
– Je vais vous le dire à vous… Je vous ai entendu, je n’en
ai pas pour la nuit et je le sens bien moi-même. J’ai les pieds déjà morts… Je
ne peux plus bouger les bras… Je suis fini, ça, ça m’endort… Mais c’est
terrible ! Je n’en peux plus.
Mentir ?
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